Je sors de chez-moi en vitesse. Évidemment, je suis encore en retard. Je prends mon sac et referme la porte d’entrée en vitesse. Je prends soin de lisser rapidement ma jupe prune avant de m’élancer hors de l’immeuble. Je cours presque vers l’arrêt de bus et arrive juste à tant pour monter dans celui qui me déposera au lycée à la sonnerie. Je parviens à trouver une place et attends patiemment les dix minutes de trajet que j’ai.
Quand je descends enfin du bus, j’entends la sonnerie qui retentit. Parfait timing, pense-je. J’accélère le pas, et vois au loin les élèves rentrer dans leurs salles respectives. Quand j’atteins la mienne, le couloir est déjà vide, mais la porte entrouverte. Au non, voilà qu’on la ferme ! Je me mets à courir et la retiens de la main. Elle s’ouvre alors pour me laisser passer, et un visage inconnu me fait face. C’est un beau jeune homme, dans la vingtaine, les cheveux courts, bruns, mais assez fous et décoiffés, et pourtant si beaux. Il a beau visage dont les traits sont bien dessinés, et des yeux d’un vert sombre envoûtant. Il me sourit. Je sens le rouge mon monter aux joues.
— Excusez-moi, j’ai raté mon bus, bafouille-je
— Quel est votre nom ? rétorque-t-il
— Eve Manjolie, monsieur.
— Bien, allez vous asseoir, on réglera ça en fin de cours.
Ses yeux me transpercent de part en part. Cet un homme à un charme fou qui me désarme totalement. Je me retrouve impuissante, fébrile, et je ne veux pas quitter ce regard si attirant dans lequel je me perds sans aucune peur. Je meurs d’envie de le voir se rapprocher, de sentir son souffle sur ma peau et ses lèvres sur les miennes.
Il se racle la gorge, me sortant de ma rêverie, et une fois de plus je sens que je m’empourpre. Je baisse les yeux et fonce rejoindre ma place à côté de Wanda. Je sens les yeux des tous les élèves braqués sur moi. Tient, je les avais complètement oublié ceux-là. Je fonds dans mon siège, honteuse. Ma camarade se tourne un peu plus vers moi.
— Et bien ça alors ! Je sais qu’il est sexy, mais pour avoir perdu tous tes moyens, tu les as vraiment tous perdu ! On aurait dit que tu ne savais même pas que vous n’étiez pas seuls, et au contraire, entourés d’une trentaine d’élèves.
— Arrête, je lui chuchote, j’ai déjà assez comme ça…
— En tout cas, s’il ne savait pas déjà qu’il nous faisait de l’effet à toutes, je pense que grâce à toi il n’a plus aucun doute.
Je lève les yeux au ciel, exaspérée. Je n’en reviens pas, j’ai été si ridicule ! Je vais mourir de honte maintenant, à chaque fois que je devrais franchir cette porte et assister à son cours. C’est là que ça me revient : mais qui est-ce, au fait ? Je pose la question à ma voisine, qui me désigne le haut du tableau, à droite. Je parviens à y lire "Monsieur Welsher".
— Il remplace notre ancienne prof’ de philo qui est en arrêt maladie prolongé. Il devrait être là au moins pour deux mois, ajoute Wanda.
Deux mois ? Deux mois de pur bonheur à pouvoir observer du fond de la classe le beau monsieur Welsher. Ah, et aussi à me forcer à ne plus arriver en retard. Je ne peux pas m’exposer à rejouer la scène de tout à l’heure. Quoique qu’en un sens, je meurs d’envie de plonger mes yeux dans les siens à nouveau. J’aimerais tellement qu’il me touche la joue, puis qu’il descende sa main dans mon cou, sur mon épaule, le long de mon bras et ma colle à lui avant de m’embrasser fougueusement et de…
— Oh, arrête de le regarder comme ça, on dirait que tu vas le manger sur place !
Oh non, je me suis encore laissé aller. Et ce n’est tellement pas moi. Je suis la bonne élève, la fille tranquille qui ne court pas après les mecs, qui ne craque jamais. Je n’ai jamais trouvé personne de particulièrement attirant, ou en tout cas pas assez pour faire grand chose. Bien-sûr, on m’a déjà embrassée, mais je n’ai jamais eu envie d’aller plus loin. Et pourtant, voilà que je surprends à rêver de ses mains et de sa bouche sur moi. Mais que m’arrive-t-il ?
Le cours passe à une lenteur effroyable. Je me suis plongée dans mes notes et interdit de relever la tête pour ne pas risquer de recroiser son regard. Je mets toute mon énergie dans mon travail, à tenter de m’occuper l’esprit autrement que par lui. Quelle lutte ! Moi qui suis dans un si grand contrôle habituellement. Et finalement, je n’ai qu’une hâte, c’est que la sonnerie retentisse pour que je puisse m’enfuir avec ma honte, loin de la salle de philo’. Mais le temps passe si lentement que j’en mourrais presque. Et pourtant, après ce qui m’a semblé une éternité, le bruit de la sonnerie retentit, et moi qui l’ai toujours profondément haïe, je le trouve soudain doux à mes oreilles.
Je m’empresse de ranger mes affaires dans mon sac, et sans prendre la peine de mettre ma veste, je fonce vers la porte.
— Mademoiselle Manjolie, où allez-vous comme ça ?
Je me fige. Oh non, c’est lui, c’est sa voix assez grave et charmant qui vient de m’appeler. Je me retourne, un peu sonnée, tentant de reprendre mes esprits. Me voyant un peu perdu, il poursuit :
— Vous deviez passer me voir, je vous rappelle.
Oh mince, j’avais oublié. Je me rapproche de son bureau, lentement, pendant que les derniers élèves finissent de sortir. Il se lève et me contourne pour fermer la porte. Nous voilà seuls, à l’abri des regards, et je sens mon cur qui tambourine dans ma poitrine. Je me demande s’il ne pourrait pas l’entendre.
Je n’ose pas me retourner pour lui faire face. Il faut que je sorte, je ne peux pas rester. Il me rend folle ! Je refuse, je ne veux pas céder au fantasme des toutes les petites lycéennes sur leur prof. Or de question. En plus il n’a pas le droit, et de toute façon ne voudrait pas de moi. Je suis stupide, si stupide. Il faut que j’arrête de le voir comme c’est homme bourré de charme qu’il est, et que je me cantonne à son titre de prof’. Mais en aurais-je seulement la force ? Mon désir pour lui m’écrase.
— Mademoiselle Manjolie, ou plutôt Eve – j’aime bien appeler mes élèves par leur prénom – je voulais vous parler de votre retard. Je vous ai accepté parce que c’était notre premier cours, mais je ne veux pas que ça se reproduise.
Tout en parlant, il s’était rapproché jusqu’à s’adosser à son bureau. Il était à mois d’un mètre de moi, totalement paralysée.
— Je suis désolée, monsieur, ça ne se reproduira plus, dis-je les yeux baissé. Je ne peux pas le regarder, j’ai trop peur de craquer.
— Regardez-moi quand je vous parle, Eve.
Et merde. Je lève les yeux, timidement. Il ne doit pas être satisfait, puisque de sa main gauche il saisit mon visage et le redresse plus encore. Oh, ça main ! J’ai l’impression que ma peau brûle au contact de la sienne, et je crains que mes yeux ne trahisse le désir qui m’inonde.
— N’ayez pas peur de moi, jeune fille. Je ne vais pas vous manger.
Puis il s’approcha de moi et me glissa à l’oreille, presque sur un air de défi :
— Enfin sauf si vous daignez arriver en retard une fois de plus.
Mes yeux sécarquillent. Ai-je bien entendu ? Il me lâche et se recule, son visage est impassible. Il saisit mon regard et lève un sourcil, comme s’il ne comprenait pas mon étonnement. Toute bousculée que je suis, je laisse mon sac choir de mon épaule. je le ramasse aussitôt et menfuie comme une voleuse.