21-
Je retrouvai Lydie et Charles le lendemain matin. Ils m’accueillirent par une bise tout ce qu’il y avait de plus classique.
— Merci Sarah pour cette soirée. Tu nous as donné beaucoup de plaisir.
— C’est moi qui vous remercie. Vous m’avez fait découvrir plein de choses. Dont certaines surprenantes et auxquelles je ne m’attendais pas.
— Tu penses aux murs de tes grands-parents.
— Entre autres. Les piercings et les tatouages aussi.
— Pour ça, si tu te décides un jour, on t’accompagnera chez notre ami tatoueur.
— Euh, c’est pas pressé.
Je tressaillis à l’idée de me faire percer le gland.
— Tu sais, tes grands-parents et nous, ce n’est pas nouveau. C’est une histoire qui dure depuis trente ans maintenant. C’est l’amour de la lingerie qui nous a rapprochés. Je pense que tu sais que Sylvie, et surtout Jacques, sont de grands fans de dessous. Et c’est naturellement, qu’à cette époque, ils ont poussé la porte de ma boutique. C’est au cours d’un essayage que j’ai dragué Sylvie. Tout simplement en l’aidant à attacher ses bas. Je l’ai caressée et alors qu’elle protestait, j’ai embrassé sa chatte. Elle est restée figée et avant qu’elle ne reprenne ses esprits, je l’ai embrassé sur la bouche tout en la caressant. Je lui ai dit que je la trouvais belle et désirable et j’avais envie d’elle. Elle m’a répondu qu’elle n’avait jamais fait ça avec une femme. Alors je lui ai proposé de venir diner avec son mari. Qu’on parlerait dessous et plus si affinité. Je lui laissais mon numéro sans me faire trop d’illusions. Mais je fus surprise de recevoir son appel. Ça a commencé comme ça. Je lui ai fait l’amour en toute intimité dans notre chambre tandis que ces messieurs faisaient connaissance, en tout bien, tout honneur. Ils ne sont devenus bi que plus tard.
Je considérai désormais Mamie et Papi sous un autre angle. Le même que pour mes parents. Le petit-déjeuner avalé, Lydie me proposa de me ramener après m’être rhabillée. Alors que je me résignai à remettre mes dessous de la veille, qu’elle ne fut pas ma surprise de trouver un ensemble de dessous vintage sur mon lit.
— Mon cadeau de Noël, dit Lydie dans l’encadrement de la porte.
— C’est trop ! dis-je aussi gênée que ravie.
— Mais non. Promets-moi juste de le porter régulièrement.
— Promis !
Lydie me ramena chez mes grands-parents. Nous nous souhaitâmes de joyeuses fêtes en se promettant de nous revoir très vite.
— Tu as passé une bonne soirée ? demanda Mamie avec un sous-entendu évident.
Sous-entendu que moi seule pouvait comprendre.
Papa et Maman me demandèrent que je j’avais fait et je restai très vague, disant seulement qu’on avait discuté de moi, de tout et de rien.
Nous passâmes la journée à préparer le réveillon du lendemain.
Et ce ne fut que le lendemain que je pus enfin parler à Mamie en tête à tête.
— J’en ai appris de belles sur toi, dis-je.
— Oh, je me doute bien que Lydie a eu la langue bien pendue. Elle s’en sert très bien et pas seulement pour lécher des minous. Tu as pris ton pied ?
— Oui. Mais je suppose que tu le sais déjà.
— Evidemment !
— Toi et Papi vous me surprenez. Je n’aurai jamais imaginé un instant que vous puissiez être
— Libertins et coquins ?
— Oui, c’est ça.
— Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences.
— N’empêche que grâce à toi et Lydie, j’ai retrouvé la pêche. Driss me manquait, mais maintenant je vais passer à autre chose. Et pour commencer, être encore plus moi.
— Ah. Et c’est quoi « être plus toi » ?
— Déjà, m’habiller en jupe et talons le plus souvent possible, même à l’école. Il n’y a aucune raison de mettre mes envies entre parenthèses sous prétexte que ça peut déranger je ne sais qui.
— Tu m’en vois ravie, dit Mamie. Ensuite ?
— Je ne sais pas. Faire l’amour avec qui je veux, sans limite d’âge ou de sexe.
— Parfait. Si ça te tente, viens passer un week-end l’an prochain et on t’emmènera en club avec Lydie.
— Ne me tente pas !
Le repas du midi fut une légère collation. Mamie nous annonça qu’une invitée passerait la soirée avec nous.
— Eliane est une amie qui a perdu son mari au printemps. C’est son premier Noël toute seule.
— Pas de souci, dit Papa.
Eliane arriva en fin d’après-midi. C’était un petit brin de femme, blonde aux yeux bleus. Mais le plus surprenant était qu’elle aussi avait adopté le dress-code de Mamie. Restait à savoir si c’était naturel ou l’uvre de ma grand-mère.
Mais ce qui me surprit encore plus était la façon qu’elle et Mamie se regardaient. Si Mamie n’était pas mariée, j’aurai dit qu’il y avait quelque chose entre les deux sexagénaires.
Mamie nous expliqua qu’Eliane s’était beaucoup rapprochée d’eux suite au décès de son mari. Tout naturellement, Mamie lui avait proposé sa compagnie si elle le désirait et Eliane l’avait acceptée. Et de fil en aiguille, elles étaient devenues de très bonnes amies.
Mais mon sentiment que leur relation dépassait la simple amitié était toujours présent et je décidai d’en avoir le cur net. Le premier indice vint lors du placement à table.
Les hommes présidaient, moi et Maman d’un côté, Mamie et Eliane de l’autre. Et tout au long du repas, je remarquai que leurs mains n’étaient pas toujours posées sur la nappe richement décorée. Immanquablement, ma serviette glissa au sol et lorsque je me penchai pour la ramasser, je glissai un il la sous la table. Deuxième indice, irréfutable celui-là, le pied d’Eliane caressant la jambe de ma grand-mère.
Lorsque je revins en surface, Mamie me fit un clin d’il complice.
22-
La soirée se déroula tranquillement. On déballa les cadeaux. Je reçus un tailleur dans l’esprit vintage, Papa un coffret de vin, Maman une carte cadeau pour un soin de beauté, Papy, un digestif. Mais le plus surprenant, et troisième indice, fut l’ensemble de lingerie que Mamie offrit à sa copine.
— Il est magnifique ! s’exclama Eliane.
Elle la serra contre elle pour lui faire la bise de remerciement, et je pense être la seule à remarquer la brève caresse d’Eliane sur les fesses de Mamie.
Eliane resta dormir avec nous, dans le canapé-lit du salon. Il était trop tard pour rentrer et, de toute façon, personne n’était en état de conduire.
Il était presque le matin et chacun dormait à poings fermés. Je quittai mon lit pour aller aux toilettes. La porte de la chambre de mes grands-parents était entre-ouverte. Un élan de curiosité me poussa à passer la tête. Dernier indice : la lueur de l’affichage du radio réveil éclairait suffisamment pour que je reconnaisse les visages de Mamie et Eliane.
Vraiment Mamie m’épatait. Réussir à passer la nuit avec sa copine au nez et à la barbe de tous était une gageure que peu de personnes aurait osée.
Pire encore, Mamie proposa le plus naturellement du monde d’aller se doucher avec Eliane pour gagner du temps. Et personne n’y trouva rien à redire. Vraiment trop forte ma super Mamie !
Mon investigation connut son dénouement le midi, après le dessert.
— J’ai quelque chose à vous annoncer, commença Mamie.
— Oh, oh, l’heure est grave ! plaisanta Papa.
— Tu n’imagines pas à quel point ! répliqua Mamie. Ton père et moi allons nous séparer.
Un silence lugubre s’installa aussitôt.
— C’est une plaisanterie, dit Papa d’une voix étrange.
— Non, on est très sérieux, dit Papi.
Son intervention me réconforta. C’était le signe que d’une part, la décision n’avait été prise sur un coup de tête, et que d’autre part, il l’acceptait.
— Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Ça ne va plus entre vous ? demanda Papa retourné par la nouvelle.
— Si tout va bien, reprit Mamie. Mais la vie, le hasard a fait que j’ai pris un nouveau chemin. Quand je vous disais que suite au décès de son Mari, Eliane s’est rapprochée de nous, en fait, pour être exacte, cette amitié s’est petit à petit transformée en amour. Pourtant, rien ne nous prédestinait à une telle liaison. Eliane n’est pas homo, moi, au mieux bisexuelle. Mais c’est comme ça, on est tombée amoureuse l’une de l’autre.
— Mais mais , bégaya Papa.
— Mais quoi mon chéri, dit Mamie. Rien n’est écrit dans le marbre. Je te souhaite que toi et Sophie restiez ensemble jusqu’à la fin de vos jours. Mais il suffit de pas grand-chose pour que tout bascule.
— Et toi Papa, qu’est-ce que tu vas devenir ?
— Oh, ne t’inquiète pas pour moi, répliqua Papi. J’ai déjà plein de projets en tête. Et crois-moi, je ne vais pas rester tout seul longtemps.
Papa secoua la tête, encore sous le choc. Si j’avais compris ce qui se tramait entre les deux femmes, j’étais loin d’imaginer un tel revirement de situation.
Les deux jours qui suivirent furent éprouvants. Mamie et Eliane ne se cachaient plus et affichaient leur amour sans gêne, Papi passait du temps sur son téléphone, Papa s’enfermait dans son mutisme. Enfin, Maman conservait une neutralité toute helvétique. Quant à moi, j’étais mal placée pour dire ce qui était bien ou pas.
Le retour se fit en silence. Seule Maman osa revenir sur la situation.
— Tu savais quelque chose ? me demanda-t-elle
— Non, rien du tout, répondis-je.
— Tu ne nous as pas parlé de ta soirée chez la copine de Sylvie.
— Non, c’est vrai. Mais c’est parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire. On a parlé de moi et de chiffons, mentis-je.
— Ah ! Bon, d’accord, capitula Maman.
Léa et Nadège avaient préparé le repas et nous attendaient.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Léa, sentant la tension plus que palpable.
Maman raconta les derniers événements et le choix de nos grands-parents. Léa resta bouche bée, totalement incrédule avant de s’inquiéter pour notre grand-père.
— Visiblement, ça n’a pas l’air de l’affecter.
— Je n’aurais jamais cru ça de Mamie, répéta Léa, elle aussi sous le choc.
— Moi non plus, répliqua Maman. Comme quoi Enfin bref, c’est comme ça, ils sont grands maintenant. C’est leur choix. Sinon, pour parler d’autre chose, le réveillon. Sarah, tu ne veux toujours pas venir ? Les filles vous faites quoi ?
— Finalement, j’ai changé d’avis, dis-je.
— A la bonne heure ! s’exclama Maman.
— On viendra toutes les deux, dit Léa.
— Parfait ! Vous avez trouvé votre déguisement ? Le thème cette année, c’est « Les personnages de cinéma ».
— C’est ok pour nous, annonça Léa.
— Je n’y ai pas réfléchi, dis-je.
— Moi, si, contra Maman.
— Le contraire m’aurait étonné, maugréai-je.
Elle pianota sur son IPhone et me montra une affiche de film : « Pretty woman ».
Je fis la moue. Mais a bien y regarder, je trouvais l’idée séduisante. Julia Roberts, pas le bellâtre.
— En fait, il ne me manque que les cuissardes.
— Pas un problème, dit Maman balayant d’un geste de main ma remarque
— Et toi et Papa ?
— Vous verrez bien. Surprise
Papa finit par se remettre de la décision de ses parents et se concentra sur les préparatifs du réveillon.
Les cuissardes commandées par Maman arrivèrent la veille. Mon short qui rendait fou tout le monde, un top rikiki, des collants résille et une perruque platine constituaient un déguisement assez fidèle à l’affiche du film. J’avais une fois de plus toutes mes chances pour gagner le concours.
Mais je déchantai très vite en voyant arriver Léa et Nadège déguisées en Daenerys et Missandei de Game of Thrones. D’autant plus que le métissage de la copine de ma sur collait au personnage de la série.
Le coup de grâce fut donné par nos parents qui arrivèrent grimés en Laurel et Hardy. Evidemment, je fis une tête d’ahuri en les voyant mais quelques vidéos trouvées sur le net et Wikipédia me firent connaitre ces deux grands acteurs du cinéma muet qui finirent dans le dénuement.
Malgré tout, j’étais fière de moi. Et peu importait le classement, le principal était de s’amuser.
La soirée se déroulait dans la même salle des fêtes que l’on réservait d’une année sur l’autre.
Comme toujours, Taties Ghislaine et Marianne assuraient le service d’ordre et l’animation. Et comme l’an passé, elles me reluquèrent de la tête aux pieds.
— Tu vas finir par rester en fille, plaisanta Tatie Ghislaine. Et qui est cette demoiselle ? demanda-t-elle à Léa
— Ma copine, Nadège.
— Juste copine, ou interrogea Marianne
— Pas « juste ». On est ensemble. En couple.
Léa avait dit ça avec un ton provocant, presque de défi. Genre « Oui ! Je suis lesbienne et alors ? »
— Amusez-vous bien, répondit sèchement Marianne, un tantinet vexée.
Mes tantes dirent quelques mots gentils à mes parents et nous entrâmes dans la salle déjà bien remplie.
Tante Agathe nous présenta son nouveau compagnon Agathe était quelqu’un incapable de garder un mari plus de deux ans. Celui-ci était déjà son quatrième et les précédents avaient eu la délicatesse de lui faire un gamin juste avant de partir ou de se faire larguer.
Dès le premier regard, je détestai cet homme. J’espérai que celui-là resterai encore moins longtemps que les autres tout en évitant de remplir le tiroir d’un nouveau polichinelle. Agathe méritait mieux que ça.
Et que dire de son beau-fils, Kévin qui venait d’avoir dix-huit ans et n’avait rien de la beauté de l’enfant qui vient de naitre. Un gamin boutonneux qui me regardait comme un chien regardait un chapelet de saucisses. Quelque chose me disait que la soirée allait être longue.
Et en effet, Kévin ne me lâcha pas d’une semelle, me bombardant de questions que ce que je faisais, si j’avais un petit ami, me collant sans arrêt sur la piste de danse. Plusieurs fois Agathe vint me voir pour me demander si tout allait bien. A sa demande, Kévin allait voir ailleurs pour revenir à la charge aussitôt que sa belle-mère avait tourné le dos.
Puis vint le temps de l’élection du meilleur déguisement. Le groupe qui l’an passé s’était grimé en Village People, arriva au son de la marche de L’empire de Star Wars avec un Dath Vador, escorté par Trois Storm Troopers, poussant devant lui Luke Skywalker. Et bien sûr, ils entamèrent un combat au faux sabre laser, combat qui se termina sur la désormais cultissime réplique « Je suis ton père ».
Le groupe fut déclaré hors concours. Ce qui laissait toute les chances aux autres. Dont moi.
Toutefois le choix n’allait pas être facile entre les différents super-héros et super-héroïnes, entre les cow-boys, les princesses Disney, et autres.
Finalement, ce fut une cousine déguisée en Lilou du film de Luc Besson, le Cinquième élément, qui rafla le trophée. Malgré tout, on ne repartit pas les mains vides car toute la famille reçut un prix spécial du jury. Nous montâmes sur scène pour le recevoir sous une salve d’applaudissements.
C’était la deuxième fois que je venais déguisée en fille. Et si l’an passé, il s’agissait vraiment d’un déguisement, aujourd’hui ce n’était plus le cas. Aussi, je jugeai qu’il était temps que toute la famille sache. Je réclamai le micro.
— Merci, merci beaucoup, commençai-je. L’an dernier, les garçons devaient venir en fille et inversement. Si je n’avais pas été très emballée au départ, la mise en situation que m’imposa Maman pour être la plus crédible possible a été une révélation. Aujourd’hui, mon déguisement n’est plus une corvée. Au contraire car ça fait un peu plus de six mois je vis en fille. Et je n’entends pas revenir le garçon que j’étais avant. Voilà, je voulais juste mettre les choses au point, pour que vous ne soyez pas surpris. Merci encore.
Le silence qui était tombé sur l’assemblée fut couvert par la musique assourdissante remise en route par le DJ.
Je redescendis de l’estrade.
— Je ne m’attendais pas à ça, dit Maman.
— J’ai improvisé. Je me suis dit que le dire maintenant simplifierait les choses.
— Espérons, répondit Maman peu convaincue.
Car si je venais de révéler ma transsexualité, ma sur n’avait pas eu besoin de discours pour afficher son homosexualité.
En l’espace de quelques heures, notre famille venait d’avoir une réputation des moins flatteuses.
Mais le pire, fut la réaction de Kévin.
— Tu es un mec ? hurla-t-il. Espèce de salope ! Je t’ai dragué et tu n’as rien dit, tu t’es laissé faire !
Il me traita de tous les noms. Courageux comme il l’était, il m’accusa de l’avoir branché alors que c’était lui qui n’avait cessé de me coller pour ne pas dire harceler. Agathe arriva aussitôt et l’envoya prendre l’air. Son compagnon se greffa à la dispute et s’en prit à Agathe, lui disant qu’elle n’avait aucun droit sur son fils.
Nous étions venus à deux voitures. Je pris les clés de celle de ma parents et décidai de rentrer sans attendre les douze coups de minuit. L’année se finissait mal.