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Sapphisme – Chapitre 1

Sapphisme - Chapitre 1



Le bruit de corps se retournant dans les petits lits faisait grimacer la nuit. Le sommeil les fuyait malgré lévidente fatigue. Carrie se retourna vers son amie et chuchota, bien que certaine de la réponse.

« Tu dors ? »

« Non. Même pas la peine dessayer » souffla Julie en se retournant à son tour. Ses yeux habitués à lobscurité devinèrent la tendresse du regard posé sur elle, à moins que cela ne soit quun rêve.

Incapable de se raisonner plus longtemps, Carrie prit son inspiration comme avant une plongée en apnée. Il ny avait pas dautre moyen que de lui dire. Et après ?

« Julie »

« Oui ? »

«  Est-ce que On va boire un verre de lait ? »

Les filles quittèrent leurs lits jumeaux. Julie fonça dans la cuisine et ramena deux verres pleins quelle déposa sur la table basse du salon. Non, sa copine et colocataire navait pas trahi le fond de sa pensée, pas encore. Le verre de lait avait masqué une autre phrase.

Carrie maudit son manque daudace en sasseyant dans le canapé à côté de son amie, presque à la toucher. Si ses sentiments qui étaient nés en cachette et avaient mûri en silence étaient partagés Elle navait pas dautres moyens de savoir que de se lancer.

« Jai envie de toi. »

Julie ne savait plus. Attendre, prendre les devants ? Se dévoiler, se taire ? Ces questions qui nen étaient pas vraiment, ces réponses que son cur pressentait et que son cerveau recherchait encore. Leur amitié qui allait mourir ici et maintenant, dans ce salon théâtre de nombreux jeux. Est-ce que cette amitié, telle le Phnix, saurait renaître de ses cendres ?

« Tu sais, jai jamais »

Un doigt se posa en travers de ses lèvres tremblantes. Certaines phrases devaient être évitées sous peine de banaliser ce qui arrivait. Dépersonnaliser leur histoire, cétait la tuer avant même sa naissance. Carrie ne voulait pas prendre ce risque.

« Chut. Moi non plus. »

Oui, mais toi tu es sûre de ce que tu ressens, pensa Julie, qui se laissa aller à remonter le temps et lespace sans exprimer sa pensée de manière audible.

Le dilemme qui lavait troublée ce matin lui revenait en mémoire. Mais ce nétait pas le moment ; penser ne servait quà entretenir le doute. Ce soir, elle avait besoin de certitudes. Pour lavenir, mieux valait entretenir le remords de lavoir fait que nourrir le regret de ne pas avoir osé.

« Moi aussi, jai envie de toi. »

Carrie fit le vide dans sa tête. Lunique vérité était Julie assise près delle, son amie qui savait si bien la comprendre et devancer ses désirs, la rassurer quand tout allait mal, qui allait lui offrir bien plus cette nuit.

Laimer était une joie de tous les instants provoquée par sa seule présence, une voix reconnaissable entre mille, un regard dun bleu limpide à accrocher, un soupir quand leurs mains se frôlaient, des rires à nen plus finir devant la télé, des « ma chérie » qui noffusquaient personne car deux filles pouvaient soffrir ce luxe sans se compromettre.

Lui faire lamour, cétait accepter de perdre linnocence chèrement gagnée, poser les mains sur ce que Julie gardait encore de secret, toucher du doigt la beauté de linaccessible au risque de salir la noblesse de ses sentiments, se reconnaître le droit dagir comme tout le monde, oublier la singularité de leur histoire, remplacer les mots par les gestes.

Mais ne pas le faire, cétait renier ce qui était déjà acquis, fermer la porte à lespoir et abjurer ses sentiments, se priver du droit à demander plus, et pire que tout la décevoir, ignorer son appel au secours.

Car ce désir si subtilement distillé toute la journée par Julie nétait quun S.O.S. et la faisait ressembler à un clown triste, un Auguste blond en train de se noyer dans la boue dune gaieté quil ne ressentait pas. Ce trouble lui conférait lexpression de linnocence de lenfant, de cette part des anges quelle avait su garder intacte jusqualors, mais aussi lexpression de la douleur, de linsurmontable douleur des grands.

Les yeux dans les yeux, les nez se frôlèrent, puis les bouches se trouvèrent. Les langues hésitèrent puis se firent audace, senlacèrent, avides dexplorer la bouche de lautre dans un échange de plus en plus charnel. Une étrange sensation partagée naquit et grandit ; les yeux se fermèrent devant ce débordement de tendresse et de sensualité qui leur était encore inconnu.

Julie posa deux mains avides sur le chemisier de sa compagne ; un bouton craqua sous la fébrilité du geste. La poitrine nue sous le coton sursauta, flattée de lattention. Les paumes glissèrent sur la peau brûlante.

Carrie, de son côté, souleva le pull de son aimée, libéra deux seins impatients. Ses doigts vibrèrent à distiller la première caresse, à susciter une première réaction dorgueil.

Les étoiles du ciel dété révélaient les saphiques nudités dans la pénombre du salon. Les yeux sextasièrent sur les courbes, les monts et les vallées comme la première fois. Puis amante et maîtresse reculèrent sans se toucher, exécutant un étrange ballet sur une musique intérieure audible par elles seules ; elles se laissèrent tomber sur le canapé.

Aussitôt Carrie partit à la conquête de linconnu, de lentraperçu. Car chaque étreinte était pour elle une révélation.

Julie accepta son rôle de victime, le revendiqua. Les lèvres tremblantes glissèrent sur sa poitrine fière dont les tétons affirmaient leur féminité, sur son ventre tourmenté par létrange volonté dabandon, puis sur sa blessure intime, source de vie, comme une plaie béante guettant les soins.

Elle se soumit aux caresses et aux baisers sans remords, tandis que ses mains balbutiantes parvenaient à peine à rendre une infime partie du bonheur reçu.

Carrie sappropria larrondi des formes, sen délecta. Le désir devint plaisir, le premier cri de son amante succéda à la complainte lascive. Lencouragement décupla son audace, son ardeur, lincita à se perdre dans les nymphes moites.

Le temps ne sécoulait plus, nimportait plus. Létreinte, fatale dans sa plénitude, séternisait sous le regard complice de la lune. Lexaltation soffrait en sacrifice à leur amour.

Julie serra les dents afin de rejeter la boule de feu, menace de dévastation, dans le fol et vain espoir de prolonger la communion, de repousser linéluctable. Ne rien précipiter, attendre, laisser la maîtresse de sa vie exprimer pleinement ses sentiments dans ce langage si particulier qui se passait de mots.

Enfin elles sabandonnèrent à livresse partagée, lune doffrir et lautre de recevoir. Une clameur monta aux cieux, à la fois abandon et victoire.

Julie accepta linévitable ; lorgasme la déchira soudain, irradia de ses rayons ardents chaque parcelle de son âme.

Enorgueillie dune telle victoire, Carrie reçut la délivrance de son amante en offrande, se délecta de la vue, du parfum et de la saveur de celle qui était sienne à tout jamais.

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