Le dimanche matin jaime bien aller au marché aux puces et me promener parmi les étals des brocanteurs.
Hier je suis tombé sur un lot de livres, dont le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux », édité par des chercheurs américains et datant des années 1950.
Machinalement, je le feuillette sans vraiment y porter un grand intérêt lorsque mon il sarrête par hasard sur la rubrique des pratiques sexuelles déviantes.
Jy peux rien jai une bonne vue.
Bref, je parcours rapidement la liste des choses à ne pas faire quant on veut faire la chose, et ô surprise jy trouve la fellation !
Si, par hasard, cette pratique et même ce mot vous sont inconnus, je ne peux pas grand-chose pour vous, et vous ne devriez même pas lire cet article. Comme je suis bon prince et parfois charmant, nen déplaise à Lilas Rose, je vous dirai juste quil ne sagit pas dune cousine de la fée Clochette.
Je conçois que lon puisse ne pas aimer tailler une pipe, moi-même je ne lai jamais fait, et je ne crois pas que jaurai envie de le faire un jour.
Mais de là à classer cette pratique parmi les maladies mentales, ça ma coupé le sifflet.
Du coup, jai eu envie de me pencher sur le sujet.
Littérairement parlant jentends.
Au fil de mes recherches sur internet, je suis tombé sur une grande abondance de clichés explicites, mais finalement peu de textes explicatifs satisfaisant quant à lorigine de cette pratique.
Mattachant à lorigine de ce mot, je me suis aperçu que lutilisation de lexpression « faire une pipe » semble finalement assez récente.
Au XVIIIème & XIXème siècles, quelques auteurs classiques tentent bien dintroduire la chose, mais sans grand succès du fait dune prose définitivement trop sibylline :
« Je trouvai aussi le moyen de faire une pipe ; cette invention me causa une joie extraordinaire, et, si j’ose le dire, une si grande vanité, que » Daniel Defoe, Robinson Crusoe, 1719.
« Quant au bambou sculpté, mon conseil privé entendu j’en ferai faire une pipe au lieu d’une canne. » Prosper Mérimée, Correspondance Générale 1822-1835, vol. 1
En revanche, dans les romans de coches (les gares nexistaient pas encore et les transports en commun étaient dirigés par des cochers), dans les livres de coches les plus légers, il était usuel, toutes proportions gardées, si jose dire, dutiliser lexpression « faire un pompier » pour parler de fellation.
Attention, il ne faut pas confondre avec « se faire un pompier ». En effet, même si lattrait de luniforme sur les femmes est indéniable, il était fait référence dans ce cas despèce (dit poufiasse), à laction de pompage plutôt quaux valeureux combattants du feu si beaux et sexy avec leurs casques argentés et leur lance à la main.
« Le souteneur de madame sappelait Pompée ! Sans vouloir me foutre de Germaine, je trouve que faire des pipes pour entretenir un gars qui sappelle Pompée, cest un peu de la provocation. » La Rouquine, propos recueillis par Martin Rolland, Alphonse Boudard présente Martin Rolland Ed.Ballard 1976.
Il est également intéressant de constater que cette pratique est quasiment systématiquement associée aux services offerts par les prostituées. La dame de qualité, avant notre époque moderne, ne semblait pas avoir dactivité sexuelle particulièrement originale en dehors de celle acceptée par les missionnaires du Vatican.
Peu à peu, par le biais dauteurs légers, à la plume fertile, la pratique de la fellation bénéficia de lexpression imagée, de circonstance, « tailler une plume ».
Il est aisé de comprendre lanalogie entre la forme phallique et la plume de lécrivain allégé qui avait besoin dêtre taillée régulièrement. Cest donc tout naturellement que lexpression tailler une plume simposa dans les milieux littéraires.
Il est moins évident dy associer la fabrication des pipes.
Il semblerait que lexpression « tailler une pipe » émerge au cours du XXème siècle, et provienne de la combinaison de « tailler une plume » et « faire une pipe ».
Une des théories les moins fumeuses prendrait naissance dans les bordels du XIXème siècle.
Les prostituées et leurs clients faisaient leurs petites affaires dans les recoins les plus sombres de létablissement, préservant une certaine intimité au couple et garantissant ainsi un anonymat de bon aloi au client. Les prostituées les plus réputées, afin de ménager leur peine, et lorsquelles tombaient sur un client radin qui nétait pas prêt à dépenser le prix nécessaire pour utiliser leur con, profitaient de lobscurité, pour se faire remplacer, « ni vues, ni connues » par une petite main, que lon pourrait aussi bien appeler dans le cas présent une seconde bouche.
Le client ne sapercevait de rien et repartait satisfait sans se douter à qui il avait eu affaire.
Ces dames se congratulaient alors en se disant quelles avaient « bien pipé » le pauvre bougre.
Le mot pipe est donc à comprendre ici dans le sens de « piper des dés », c’est à dire de tricher, tromper. L’expression « faire une pipe » renvoie donc à ces prostituées faignantes et arnaqueuses.
Afin de ménager mes lectrices féministes, jai une deuxième théorie sous la main.
Avant la fin de la deuxième guerre mondiale et larrivée des américaines en France, la majorité des fumeurs se roulaient leur cigarette, ou bourraient leur pipe.
Dans les milieux modestes, le mot cigarette nétait pas spécialement utilisé, on parlait plutôt de tabac, chique, pipeOn disait alors que lon « s’en roulait une » ou « se faisait une pipe ». La consommation du tabac se généralisant chez les femmes, il est facile d’imaginer que les dames de petite vertu qui faisaient encore des pompiers à leurs clients, comparaient leurs gestes à ceux que font les fumeurs : rouler un cylindre et le tasser méticuleusement avec leurs doigts afin de lui donner une certaine consistance, et puis courir le long de la cigarette avec leur langue avant d’aboutir à une «petite pipe » prête à être fumée. Vu qu’il est question de tabac, on ne peut s’empêcher de lier cette expression avec « avaler la fumée ».
Il est également intéressant de constater que cest encore et toujours avec larrivée des américaines, mais cette fois-ci plutôt dans les années 1980 et par le biais de films vidéos éducatifs, que cette pratique fut remis à lhonneur dans tous les milieux.
Afin dêtre complet sur le sujet, sachez que la fellation connaît des destinées fort différentes dans les autres pays. Ainsi en Allemagne, on dit « Französich manen », en Espagne « Hacer un frances », que lon peut traduire fièrement sans chauvinisme par « faire un français ». En Italie, pays attaché aux traditions, on dit « Fare un pompino », faire une petite pompe. Depuis peu, on dit « make a Clinton » aux USA.
Lexpression la plus étonnante vient dAngleterre où lon roule évidement à contre-sens, puisque lon dit « to blow a man » qui littéralement veut dire « souffler un homme » !
Nom dune pipe, moi qui croyaient qu’ils avaient un gros bide à cause de la bière…