Je reçois un appel un jour sur mon portable. Un numéro que je ne reconnais pas.
« – Allo ?
— Allo, D ?
— Oui.
— C’est Patricia.
— Patricia ?
— Oui, Patricia, tu sais Patricia N.
— Ah, Patricia, oui. »
Je me dis, tiens, elle refait surface celle-là. Est-ce que c’est pour s’excuser de ne pas être venue à l’enterrement de ma femme ? Ça m’étonnerait beaucoup.
Je vais vous la situer. Patricia est une ancienne collègue de ma femme qui est partie en retraite il y a quelques années (deux, trois ans, je dirais – le temps passe tellement vite.)
Un cas celle-là. Une belle fille mais complètement névrosée, mais surtout une égoïste et égocentriste de première, et en plus totalement éhontée.
Ma femme la connaissait depuis plus de trente ans. C’est vrai qu’elle a eu des malheurs dans sa vie, et ma femme, en bonne collègue, et surtout comme quelqu’un d’humain, avait toujours été à ses côtés dans les moments difficiles. Son veuvage, l’enterrement de sa mère.
Par contre, quand ma femme a perdu un de ses proches, l’autre a été aux abonnés absents, ne cherchant même pas une excuse.
Je ne parle même pas des multiples fois où nous l’avions invitée, en particulier pour qu’elle ne soit pas seule à Noël, invitation qu’elle ne nous a jamais rendue, même pas pour un café.
Et pour clore le tout, elle ne s’est même pas manifestée lors de son enterrement. Je n’ai pas franchement été étonné.
Je sais bien que depuis qu’elle est en retraite elle est partie vivre à l’étranger, et je n’attendais pas d’elle qu’elle fasse le voyage (quoiqu’elle aurait pu le faire, mais je la connaissais et je savais qu’il ne fallait pas trop lui en demander.)
Mais bon, elle l’a su (par des amis communs) mais n’a même pas envoyé des fleurs ni même une carte de condoléance. Bref, depuis qu’elle est partie nous n’avons jamais eu aucun signe d’elle. Et même pas là.
Aussi, je me disais sans grande conviction, elle va peut-être faire un petit geste à l’occasion de cet appel, trouver une excuse à la con, comme d’habitude. Elle pourrait mettre ça sur le compte de sa névrose, invoquer sa déprime, au moins ça serait crédible.
Je savais cependant, par nos amis communs, que depuis que Patricia est partie vivre là-bas, il lui arrive de revenir en France régulièrement, et qu’en plus d’être égoïste, elle est ce qu’on pourrait qualifier, de profiteuse.
Elle n’en a en effet aucune vergogne pour contacter ses rares amis restés en France pour leur demander de venir la chercher à l’aéroport, voire de l’héberger durant ses courts séjours quand elle rentre au pays.
Et il y a des gens assez poire pour le faire, des gens bêtas et gentils jusqu’à la connerie pour lui rendre ce service sans discuter, comme s’ils n’avaient que ça à faire, et être à son service comme si elle était une princesse.
Comment font les autres ? disait ma femme. Nous, on se prend une chambre d’hôtel, un taxi, ou bus ou un RER et on n’emmerde pas les autres. Surtout quand on est incapable d’avoir la moindre attention envers les amis.
La suite lui avait hélas donné raison.
Personnellement, j’avais eu de l’empathie pour elle au début, comme tout le monde, quand elle avait subi ses malheurs (qui, hélas, arrivent à d’autres personnes.)
Et ça n’avait rien à voir avec le fait que c’était une assez belle femme, de taille moyenne, avec un joli visage, des cheveux assez courts qu’elle teignait en châtain tirant sur le roux, des beaux yeux verts, un corps bien fait, assez pulpeux sans rondeurs en excès.
Mais devant tant d’égoïsme, d’ingratitude, j’avoue que j’avais été très vite déçu par elle.
Et, pour tout dire, même en colère par son absence totale d’un savoir-vivre des plus élémentaires.
Aussi ne suis-je pas trop étonné de l’entendre me demander juste "Ça va ?" sans s’étendre plus avant sur mon veuvage récent, sans aucune parole compatissante ni même un mot pour son ancienne collègue, alors qu’elle ne s’était même pas manifestée depuis son décès, et de passer directement après ma réponse évasive sur un ton enjoué au motif de son appel.
Elle n’a pas besoin de m’en dire plus, j’ai déjà deviné. Outre son attitude égoïste, elle a un culot à toute épreuve. Elle se comporte comme une enfant gâtée (je sais que c’est une enfant unique, peut-être a-t-elle été trop choyée, mais est-ce suffisant comme raison ?) à qui tout est dû.
J’adopte un ton assez neutre, assez froid, mais me vient immédiatement une idée. Je pourrais l’envoyer balader tout simplement, et lui dire ses quatre vérités par-dessus le marché, mais j’ai envie de la jouer cynique, quitte à la choquer, je n’en ai rien à foutre.
Aussi, quand elle me dit :
« – Je viens en France la semaine prochaine, j’ai des choses à faire et du monde à voir à Paris, est-ce que tu pourrais m’héberger quelques jours ? »
Je lui réponds immédiatement :
« – Oui, bien-sûr… si tu paies en nature. »
Surprise, elle a comme un rire stupide. Elle répond :
« – Oh… ah bah ça, je sais pas…
— Bah, moi je le sais. C’est comme ça. C’est ça ou rien. »
Elle se met à rire :
« – Ben dis-donc, t’es culotté…
— Tu trouves ? C’est pas l’hôpital qui se moque de la charité, là ?
— Ohhhh… » répond-t-elle d’un air gêné.
Je ne dis rien, j’attends. Silence à l’autre bout du fil. Elle ne demande pas pourquoi, ni ne proteste. Elle n’a pas intérêt d’ailleurs.
Finalement, elle demande :
« – Bon t’es d’accord alors ? Tu peux ?
— Si toi tu es d’accord…" réponds-je sur le même ton froid.
« – Bon, bah j’arrive mardi » dit-elle sans relever.
« – Je n’irai pas te chercher à l’aéroport, je travaille. Faudra que tu te débrouilles.
— T’inquiète pas, je vais trouver quelqu’un pour venir me chercher. »
Je me doute bien, pensé-je, mais ne lui dis pas. Toujours égale à elle-même, toujours à se faire assister, elle va encore profiter de quelqu’un (sans doute nos amis communs), ça n’est pas le culot qui l’étouffe, comme d’habitude.
« – Alors à mardi » me dit-elle. Elle va raccrocher.
« – A mardi" réponds-je et j’ajoute aussitôt après : « Mets une culotte propre. »
Pour toute réponse, elle rit bêtement, dit au-revoir et raccroche.
Elle croit sans doute que je plaisante. Elle ne va pas être déçue. Je ne suis pas une poire, moi, un pauvre pigeon comme ceux qui l’assistent habituellement et dont elle abuse de la gentillesse.
Je suis bien décidé. Elle va voir. Je ne vais pas me laisser faire.
Si elle veut que je l’héberge quelques jours il va falloir qu’elle y passe. Je suis déterminé à lui réitérer mon marché, sans prendre de gants, et si elle refuse ou s’offusque je la fous dehors avec sa valise, elle ira se trouver un hôtel ou une autre pauvre pomme.
Je n’ai rien à perdre et j’en ai rien à foutre.
Pile elle cède et je me la tape (et ça tombe bien, ça fait longtemps que j’ai envie de la baiser) et je ne prendrai pas de gants ni ferai jouer les violons.)
Face, elle refuse, je la fous dehors, et je me (nous) venge) de son égoïsme et de son sans-gêne légendaire. Ça lui servira de leçon que quelqu’un lui mette enfin et pour une fois le nez dans sa merde ; après, elle pourra raconter tout ça à qui elle veut, me faire une réputation de salaud, je n’en ai rien à talquer. J’aurais même plaisir à la virer avec un coup de pied au cul.
Le mardi suivant elle débarque comme convenu avec son bagage.
Comme je m’en doutais, c’est effectivement une de nos amies qui a été la chercher à l’aéroport et l’amène jusqu’à chez moi (une balade de 50 km au total quand même…)
Yvonne, l’amie, semble un peu étonnée de voir que je l’héberge quelques jours.
J’espère un moment que Patricia ne lui a rien dit de mon exigence. Mais je suis sûr qu’elle ne s’en vanterait pas. Au pire, si elle lui avait dit, Yvonne me connaissant, se serait dit que c’est l’une de mes nombreuses blagues.
C’est sans doute ce que pense Patricia également. Mais elle ne va pas tarder à être fixée sur le sérieux de mon deal.
Je n’ai pas l’intention d’attendre trop longtemps, de la laisser s’installer, ni de laisser passer le dîner (parce que bien entendu je vais la nourrir, ce soir du moins, et que, bien entendu également, elle est venue les mains vides, cela va de soi. De toute façon, elle ne perd rien pour attendre, elle va me payer en nature pour ça aussi, et pour les plusieurs jours qu’elle va passer chez moi !)
Elle me fait la bise. Elle affiche un sourire radieux, semble plutôt joyeuse (d’habitude, elle est tout le temps à pleurnicher sur son sort, comme si le malheur du monde était sur ses épaules, et il faut dire qu’elle adore se faire plaindre.)
Elle est ravissante, arbore une tenue qui lui va à merveille, une jupe droite beige assez classique qui s’arrête au genou, des collants clairs, et un top crème à motifs verts de bon goût. Elle s’habille toujours très classique mais quand même avec une certaine élégance, je ne peux pas lui enlever ça.
Ses cheveux sont impeccablement coiffés (elle a dû passer du temps chez son merlan), et s’est fait un maquillage discret mais efficace.
Elle me sourit avec son air habituel et mystérieux de petite naïade allumeuse. Je la soupçonnais, à l’époque où nous la fréquentions, de me faire du charme, avec ses airs gracieux, presque langoureux ; en fait, elle doit être un peu hystérique, peut-être même beaucoup.
Mais là, on va voir si elle a l’intention d’aller jusqu’au bout. Sauf que je n’attendrai pas son grand numéro de charme ou ses réticences et ses manières de mijaurée.
Yvonne est partie assez vite. Elle a quand même accepté un café qu’elle a pris avec nous, mais elle ne semblait pas trop à l’aise. Ça devait lui semblait bizarre cette situation. Que j’accepte en particulier de l’héberger, comme ça, maintenant que ma femme n’est plus là – elles étaient de grandes amies, des vraies, elles.
Elle sait bien que je n’ai jamais été insensible au charme de Patricia. Elle doit se dire : il ne va quand même pas se maquer avec elle !?
J’ai toujours été discret sur ma vie sentimentale et sexuelle depuis le décès de mon épouse, et elle, du coup, ne doit même pas imaginer que je suis capable de sauter Patricia, rien que pour le plaisir. Elle doit penser que je suis trop romantique, que ça ne me ressemble pas.
En fait, elle ne me connaît pas.
Une fois seul avec Patricia, comme j’ai dit, je ne vais pas traîner pour passer à l’attaque.
Je lui dis :
« – Allez viens, je vais te montrer ta chambre. »
Elle prend sa valise et me suit. Je l’emmène dans la chambre qui est contiguë à la mienne.
« – Voilà. Tu n’as qu’à poser ta valise ici.
— Bon, parfait » dit-elle en reluquant la chambre.
« – Donc, nous y voilà » continuai-je. « Tu n’as pas oublié notre marché ?
— Quel marché ?
— Ne fais pas l’innocente : je t’ai dit que tu me paierais ta pension en nature et tu as parfaitement compris.
— Je n’ai pas dit que j’étais d’accord » répond-t-elle d’un air gêné en détournant le regard, avec une moue qui ressemble presque à une grimace.
« – Et tu n’as pas dit que tu n’étais pas d’accord.
— Mais je croyais que tu blaguais… » répond-t-elle avec une voix presque éteinte et après un bref silence.
« – J’ai été parfaitement clair, et tu le sais bien. Je n’ai pas dit ça sur le ton de la rigolade » dis-je d’un ton très ferme, presque énervé.
« – Oui mais bon…
— Bon, on ne va pas y passer la soirée. Ça n’est pas la peine de tergiverser. Soit tu adhères à mon deal, soit tu te casses. » dis-je de façon très autoritaire.
Je me disais depuis longtemps que c’était le genre de fille qui avait besoin qu’on soit ferme avec elle, parce que, sans doute, personne ne l’avait été, qu’elle n’avait jamais rencontré une vraie autorité ; sinon elle aurait cessé de se comporter comme une petite fille capricieuse à qui tout est dû.
« – T’as choisi ? Tu décides quoi ? » lui lancé-je. J’ai pris un air sévère, les bras croisés. Mon changement d’attitude a dû la surprendre. « Tu as deux secondes. »
La colère me monte au nez devant son comportement. Elle va essayer de négocier, elle m’énerve. Elle a toujours eu l’habitude d’avoir tout pour rien. J’ai une folle envie de la virer à coups de pompes dans le cul.
Naturellement, je ne vais pas le faire de cette matière. Je vais attraper sa valise et lui dire de se casser.
Quand soudain, elle me dit :
« – J’ai pas dit non. Mais je trouve que tu n’es pas très galant. J’espérais que tu mettrais des formes.
— Avec toi ? Des formes ? Tu en mets, toi, des formes ? Tu es sans gêne, égoïste, et tu te comportes toujours comme une enfant gâtée. Et en plus, tu n’as aucun souci des autres.
— Je sais pourquoi tu dis ça. Je vais t’expliquer…
— Tais-toi ! Je ne veux plus rien entendre. Fous-toi à poil, allez vite ! »
Elle me regarde, ses yeux ont changé de couleur. Elle est comme tétanisée.
« – Non seulement tu vas me payer, mais en plus, comme je n’ai pas confiance, tu vas me payer d’avance. Du moins, un acompte… Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ? » dis-je avec un air pas tendre.
« – Pourquoi tu es méchant avec moi…? » balbutie-t-elle, avec sa voix aiguë et pleurnicharde qui exaspérait tant ma femme.
« – Tu te décides…? Ou tu te casses…?
— Tu ne vas quand même me mettre dehors, me renvoyer… d’ici… à cette heure-là…?
— Bon ok, j’ai compris » dis-je et je saisis sa valise, « je ne discute plus, tu as fait ton choix…
— Non, non, attends… C’est d’accord. »
Je repose la valise.
« – A poil ! » lui asséné-je d’une voix forte.
(A suivre…)