Évidemment je dormais cette nuit au retour de Patricia. Elle sest glissée dans le lit damis sans me réveiller. A 7 heures trente le réveil lappelle, car à neuf heures elle doit tenir sa caisse. Je nai pas le loisir de vérifier si elle a toujours son piercing ou sa marque dans la peau. Elle est devenue subitement très pudique à la maison. Elle, habituée à se promener toute nue avec un naturel inné dans le couloir ou dans toutes les pièces, se déplace en chemise de nuit devant moi.
Pendant la visite médicale chez mon généraliste, le médecin ma trouvé triste, a cherché à savoir si javais de gros soucis professionnels ou familiaux, sest inquiété de mon manque de ressort et ma pris un rendez-vous chez un cardiologue dans un mois. Lordonnance est restée sur la table de cuisine pendant que je préparais le repas de midi. Cest la première chose que Patricia a remarqué en revenant de sa grande surface.
-Mon chéri adoré, tu ne vas pas bien. Cest grave?
-Non, une grosse fatigue, le docteur veut se rassurer et me recommande de limiter au maximum les efforts jusquau résultat de lélectrocardiogramme.
Jen ai rajouté. Je ne tiens plus à passer après ses servants professionnels dans ce vagin devenu public en salon privé. Quelle conduite vais-je adopter avec Patricia. Je me laisse le temps de la réflexion. Je ne crois plus guère en son amour.
-Mais alors, est-ce que nous pouvons continuer à nous aimer?
-Comme nous lavons fait hier et avant-hier, certainement. Nous ne nous sommes pas vus depuis mercredi soir et nous navons pas fait lamour depuis lundi. Donc ma fatigue ne doit rien à des excès au lit: tu prends toutes les précautions pour me mettre à labri dun infarctus! Tu ne dois pas te sentir coupable de ma fatigue, puisque tu nas plus de temps à me consacrer. Je sentais bien que ce nouveau travail allait nous éloigner.
-Mais mon amour tu sais que cest pour la bonne cause. Comme je tiens par-dessus tout à ta santé, je ne serai pas exigeante pendant ce mois.
-Ne crains-tu pas de trop te fatiguer toi-même et de mettre ta propre santé en danger?
-Je suis solide et quand je fais un travail avec plaisir, je ne ressens pas la fatigue.
-Mais encore, suis-je condamné à ne plus te rencontrer du mercredi au samedi? Même si je dois prendre des précautions, que me reste-t-il de nous si je ne te vois plus. Jadore faire lamour avec toi. Ny a-t-il rien dautre entre nous? Cette autre chose disparaît si nous ne nous rencontrons plus. Or notre avenir sur des années va être fait dabsences. Je refuse de vivre ainsi.
-Pense à notre maison, nous y coulerons des jours heureux.
-Tu me promets le grand soir. Cest maintenant que je veux être heureux. Cette semaine a été désastreuse pour moi. Je ne supporterai pas cette vie sans toi. Il nous reste heureusement le week-end et les trois premiers jours de la semaine, sinon je vais craquer.
-Tu sais, on na rien sans rien. Je veux notre maison, notre mariage et nos enfants. Ca réclame quelques sacrifices. Nen grossis pas limportance.
-Moi, dans ces conditions, je te lai déjà dit, je préfère renoncer à la maison. Et si tu me fais vivre avec une femme fantôme, qui rentre à je ne sais quelle heure, qui fait chambre à part, je vais renoncer au mariage et à une vie commune qui nen est plus une.
-Ah! Bon. Tu fais une dépression, tu exagères tout. Je nai pas voulu te réveiller, tu dormais si bien: cest par amour que jai utilisé la chambre du fond. Et je men félicite puisque tu es fatigué et peut-être malade du cur. Je suis désolée que tu le prennes comme ça. Veux-tu que je fasse moins dheures?
-Je souhaite retrouver la vie que nous menions auparavant.
Cest que jai un engagement de trois mois. Et je dois travailler aujourdhui de 17 à 24 heures. On ma même proposé 4 heures le dimanche de 20 à 24 heures en remplacement dune collègue grippée. On ne peut pas laisser ces pauvres dames toutes seules, tu devrais comprendre.
-Jadmire ta conscience professionnelle. Je constate que tu tiens à ton activité nocturne plus que tout. Dimanche quand tu rentreras épuisée davoir torché les mémés, de têtre prêtée à leurs fantaisies extrêmes, au moment de rejoindre la chambre du fond, tu auras théoriquement turbiné 24 heures en 4 nuits. Je connais le tarif horaire, tu auras gagné 9 fois 24 donc 216 euros.
-Cest appréciable non?
-A ce tarif là il te faudra au moins quinze ans pour te payer une petite maison. Quinze années pendant lesquelles tu mauras privé de ta présence 4 jours et quatre nuits par semaine. Compte tenu de ma maladie supposée par le généraliste mais non avérée, cela ne te paraît pas déterminant.
-Mais je ne table pas sur cette maladie passagère. Jespère bien te voir guérir très vite
-Admettons que lélectrocardiogramme ne trouve rien et que moyennant quelque fortifiant, je retrouve ma forme, je vais vivre 96 heures par semaine sans toi, sans te voir, sans te parler, pour te retrouver ménopausée dans 15 ans, usée par lactivité débordante à laquelle tu te consacres à fond, sans lésiner et sans rechigner, avec une furie missionnaire. Faudra-t-il que je me soulage seul ou que je trouve une brave fille disposée à assurer lintérim.
— Essaie de me remplacer, si tu veux me fâcher. Cest du chantage? Tu délires, je fais simplement le travail pour lequel je suis payée.
-Si mal payée que je ne comprends pas pourquoi tu livres ainsi ton corps et ton énergie. Quoi quil en soit, je te laisse jusquà jeudi soir à 17 heures pour cesser cette activité ou pour quitter un homme malade qui risque de devenir une charge pour toi.
-Quoi, tu ne maimes plus? Tu veux te défaire de moi parce que je voulais taider. Tu veux me faire rompre mon contrat. Tu ne maimes plus? Ce nest pas juste. Je ne tai manqué quune semaine, tu en fais tout un plat. Je suis prête à te faire lamour du samedi au mercredi. Pour cela, tu dois retrouver une bonne santé. Ne maccuse pas de ta défaillance dont je souffre aussi. Si tu nas pas de relation sexuelle, jen suis privée également et ce nest pas de mon fait.
-Les associations, que je sache, embauchent pour une période probatoire avec possibilité de rompre cette période à tout moment. Montre-moi ton contrat, je vais le vérifier.
-Cest que Jai signé le contrat, mais je nai pas encore reçu mon exemplaire.
-Cest une grave anomalie. Je vais devoir me mêler de tes affaires pour protéger tes droits. Donne-moi leur adresse, jirai les voir dans laprès-midi
-Inutile les bureaux sont fermés jusquà lundi et lundi jaurai mes papiers. Sil te plaît, mon amour, ne fais pas un scandale inutile. Ne me crée pas une mauvaise réputation sur le marché du travail.
-Enfin tu sais à quoi ten tenir. Si tu as lintention de continuer à te refuser à moi 96 heures consécutives par semaine, il y a anguille sous roche. Ta résistance est un signe de ton peu dintérêt pour moi et de lapparition dans ta vie dun autre homme: cest ma conclusion.
-Tu ne crois pas ce que tu dis. Ce nest pas possible. Sur quel ton faut-il te dire mon amour?
-Tu ne veux pas me prendre au sérieux. Très bien. Ne me cherche pas vendredi matin, je ne serai plus là.
-Tout ça parce que je fais des ménages. Mais je taime comme une folle.
Va dire ça à dautres. Le sujet est clos.
-Je peux au moins terminer ma semaine?
-Puisque tu y prends autant de plaisir, fais comme il te plaira. Dès ce soir je quitte les lieux. Je passerai jeudi à 17 heures pour avoir ta réponse.
-Est-ce que je peux prendre la voiture?
-Elle est à mon nom. Jen aurai besoin pour déménager après ton départ pour ton sale travail. Je regrette. Veux-tu que je te dépose au pied de limmeuble où tu débutes, tu pourrais me faire connaître ta première employeuse.
-Non, merci, je vais apprendre à marcher. Cest excellent pour la ligne. Je dois mentretenir pour pouvoir te remplacer si tu me quittes. Et où vas-tu?
-A lhôtel pour débuter, je vais y dépenser léquivalent de ce que tu auras gagné en une semaine à récurer les objets les plus répugnants, à te rouler sur les peaux de bêtes des vieilles dames. Selon ta décision, javiserai jeudi pour la suite.
-Je ten supplie, ne fais pas ça. Tu me désespères.
-On ne dirait pas. Tu me donnes limpression de te moquer de moi. Tu me mets en concurrence. Je ne ladmets pas. Tu es jeune, solide, belle: tu trouveras vite un remplaçant en bonne santé et plus tolérant que moi.
Je suis descendu dans mon bureau. Porte fermée à clé, insensible aux pleurs et objurgations de la menteuse, jai mis mon imprimante en route pour tirer sur papier les photos de Patricia prétendue femme de ménage. Sans voiture, elle a quitté la maison à seize heures après de dernières supplications inutiles.
Jai rempli mon coffre du nécessaire pour tenir une semaine loin de ma base, mis à labri mon chéquier, ma carte bancaire, mon compte en banque: Claude et sa bande ne pourront pas obliger Pat à y prélever de prétendues indemnités. Jai empoché les clés des trois portes: entrée, garage et cave.
Dans une enveloppe jai glissé une photo avec des encouragements au dos
« Tu es belle, bonne. Continue, nous tavons reconnue. Cest un plaisir. Tu es douée »
Jen ai rempli plusieurs autres soit à notre adresse soit destinées à lui être remises à son poste de travail, lundi, mardi , mercredi. Mon but est dexercer une pression pour lamener à réfléchir à sa dernière entreprise. Si elle persiste, il sera évident quelle ne maime plus et quelle préfère ce job ignoble à mes yeux. Je pourrai la quitter sans regret.
Le lundi, le mardi et le mercredi elle a essayé de me joindre au travail. Invariablement on lui a répondu que jétais en déplacement. Ma secrétaire en a aussitôt conclu à une séparation. Si je cherche une consolation elle attendra un signe. Ca met du baume au cur.