Le sourire de Sophie a un « je ne sais quoi » de désarmant. Pour un peu j’y lirais une larme de contrition. Je serre contre moi mon manteau et nous attendons, sagement assises sur un banc, que l’on m’appelle. Elle, l’amie fidèle, a tenu à m’accompagner, jusqu’à l’entrée de ce bureau sur lequel une plaque de cuivre annonce la qualité de son utilisateur.
M-F Linarès J-A-F
Au-dessus de la porte, une lumière rouge m’indique que l’endroit est occupé et que je dois donc encore attendre.
Tu as tous tes papiers ? Et puis ton avocat, pourquoi n’est-il pas encore là ? Ils sont trop payés ceux-là. Ils se font toujours appeler « Désiré » ! Ah ! Je te jure !
!
Je ne rétorque rien à ces commentaires plutôt bizarres dans un tel lieu. La musique de la voix de ma copine me glisse d’une oreille à l’autre pour se perdre dans les méandres de mes pensées. Onze mois de tracas, pas tout à fait une année pour venir voir cette juge. C’est derrière cette cloison peinte couleur lie de vin, que se joue le dernier acte de mon désamour avec Michel. Je ne prête aucune attention aux deux personnages en robe noire qui viennent de passer dans le couloir. La lampe au-dessus de la porte vient de virer au vert. Une voix nasillarde crachouille quelques mots.
Je ne bronche pas, perdue dans mes pensées. C’est un coup de coude léger de Sophie qui me sort de ma rêverie.
Hey ! C’est toi qu’on appelle là ! Allez, vas-y ! Je t’attends ici. Surtout, reste zen et ne te mets pas en rogne. C’est bientôt fini. Courage, Claude, je te supporte.
allons-y, puisqu’il le faut.
N’aie pas de regrets ! Ça nous arrive à toutes, tu le sais bien. Nous ne sommes pas infaillibles.
Je me suis levée et je pousse la porte. Je suis d’emblée dans un bureau assez spacieux. Deux femmes sont assises dans ce lieu impressionnant. Une derrière un ordinateur et l’autre tient un dossier ouvert devant elle. Un chignon garde une chevelure d’un blond cendré sur le sommet de sa tête. Son nez est chaussé d’une paire de lunettes qui lui confère un air sévère. Celle-ci me fait signe de m’asseoir. Puis elle tripote quelques feuillets de la chemise étalée sur son pupitre.
Vous êtes Madame Claude
Mon nom de femme mariée suit le prénom qu’elle vient simplement de citer. J’opine du chef et je réponds en même temps.
Oui ! C’est bien cela.
Votre nom de jeune fille
J’ai la bouche pâteuse après avoir craché ce dernier. L’autre, plus jeune tape sur le clavier de son PC.
Bien ! Nous sommes là pour vous entendre dans le cadre de la procédure de divorce conjointe engagée entre vous et votre mari. Apparemment, vous êtes d’accord sur à peu près tout. Pour le partage, votre époux a signé tout à l’heure une renonciation sur tous vos biens mobiliers, et pour le reste, il n’y a pas d’héritiers !
Nous n’avons pas d’enfants oui !
Ça simplifie naturellement la procédure. Vous n’avez donc pas changé d’avis depuis que vous avez signé ce document ? Vous voulez également toujours vous affranchir du contrat de mariage contracté avec Monsieur Michel
Elle lit à nouveau notre patronyme familial et je n’écoute déjà plus. Mon esprit vagabonde vers ces années de bonheur qui fichent le camp. Je revis un court instant la cérémonie joyeuse qui avait fait de moi une femme comblée. Puis, d’autres images se superposent à celles qui me rendent morose. Je sais de toute façon que c’est moi qui aie trahi Michel. Je sais également que plus rien ne sera comme avant dès que lui et moi serons passés devant le tribunal qui entérinera le jugement de divorce.
La blonde a les lèvres qui remuent, bien que je n’entende plus un seul mot de ce qu’elle raconte. Elle continue sa lecture, celle de cet acte qui va dénouer lors d’une audience du tribunal, les liens qui nous unissent encore mon mari et moi. Et lorsqu’elle me tend la liasse de papiers ainsi qu’un stylo, j’émarge là où elle pose son doigt. Mon esprit revient à la dure réalité de ce moment douloureux.
Bien ! Si la tentative de conciliation échoue, l’audience sera donc fixée au deuxième jeudi du mois prochain. Elle aura lieu à quatorze heures trente. Maintenant je vais procéder à cette dernière tentative de conciliation, comme la loi le demande. Votre conseil est avec votre mari ?
Je pense que oui ! C’est un avocat commun
Bien ! Nous pouvons donc faire entrer Monsieur Michel
La greffière s’est redressée et elle se dirige vers une autre issue du bureau. Dès qu’elle en ouvre le passage, je retrouve Michel qui, aux côtés de notre avocate, pénètre dans le bureau du Juge des affaires familiales. Nous ne nous sommes guère revus d’aussi près depuis son départ de la maison, le fameux soir où je lui ai avoué ma traitrise. Il a l’air d’une maigreur effrayante. Négligé aussi, son col de chemise n’est pas très net. Pourquoi ce genre de détails insignifiants me sautent-ils aux yeux ? Je sens mon cur qui bat plus vite également.
Je cherche dans ses prunelles bleues comme un pardon. Je n’y lis qu’une sorte d’étincelle que je crois être de haine. Puis lorsque la blonde nous demande si nous voulons reprendre la vie commune, il a comme une longue hésitation. Attend-il que ce soit moi qui réponde la première ? Je n’ose pas non plus dire un mot ou l’autre. Alors avec un étrange chevrotement dans la voix, il laisse tomber un « non » qui ne me parait pas très tranché. C’est donc à mon tour, moi la coupable de cet état de fait, de donner mon avis.
Je n’ai guère de choix et c’est bien dans un filet de voix que je lance un second non qui nous entraine cette fois, vers la phase finale. Dans un mois trente jours, nous aurons consommé pour de bon, la mort de ce qui nous attache toujours l’un à l’autre. Et si mes quinquets se teintent de mélancolie, je ne jurerais pas que ceux de Michel ne sont pas mouillés également. Je constate tout de même que notre conseil commun sort avec lui. Elle le tient par le bras. Sophie sur son banc dans le corridor n’a pas bronché.
Dès ma sortie du bureau, elle m’inonde de questions.
Alors ? Raconte ! Comment ça s’est passé ? Michel n’est pas venu ? Et ton avocat, pas là non plus ?
Si ! Ce bureau a une autre entrée et ils étaient là avant nous sans doute.
Ah bon ? C’est réglo tout ce micmac ? Tu es certaine que c’est normal ?
Écoute ! Ce qui n’est pas normal, c’est d’avoir couché avec un autre alors que j’étais heureuse avec Michel.
Ouais on ne m’enlèvera pas de l’idée que si tu es allée voir ailleurs, c’est que tu n’avais peut-être pas tout ce que tu aurais voulu chez toi !
Arrête avec ça Sophie ! J’ai déconné grave et je n’ai que ce que je mérite. Ce qui me fait le plus mal, c’est qu’il n’ait pas voulu partager, il m’a tout abandonné sans condition. Ça veut dire qu’il ne veut plus rien de ce qui a fait notre bonheur, plus rien de ces années heureuses. Il veut tirer un trait définitif sur ce qui a fait le sel de notre existence et c’est cela le plus compliqué à digérer pour moi.
Tu l’aimes encore quoi ! Alors pourquoi tu divorces ? Bats-toi, bon Dieu ! Accroche-toi bec et ongles et je suis certaine que tu peux le reconquérir. Il n’a toujours juré que par toi.
Une martienne, une illuminée, c’est bien ce qui me saute aux yeux dans ce palabre animé de cette vieille amie. Puis ces paroles font leur petit bonhomme de chemin dans mon cerveau passablement embrumé. Après tout, mon comportement tant à me prouver que si j’ai failli, je n’en demeure pas moins amoureuse de cet homme avec qui j’ai tant fait de route. Et sa présence me manque atrocement depuis notre séparation. Quelque part aussi, un déclic se fait dans mon esprit. Il entraine bien des questions également.
Cet attachement à cet homme, celui qui connait le mieux ma peau, mes idées, qui les a parfois combattues bien sûr, qui en a approuvé tellement quelquefois, laisse un vide immense dans mon existence. Mais est-ce par peur de me retrouver seule ? Ou bien mon amour pour lui reste-t-il malgré tout assez violent pour que je veuille me battre encore pour le récupérer. Ces pensées m’obsèdent, me déchirent intérieurement et là, Sophie ne peut m’être d’aucune utilité pour me rassurer. Je me promets de faire le point, lorsque ma caboche se sera un peu apaisée. Je dois me faire violence pour ne pas pleurer.
oooOOooo
Le type qui m’a amené à cette situation n’a plus jamais donné signe de vie après notre seconde rencontre. Ces deux entrevues auront été dévastatrices pour mon couple. Mais au fil des jours, pour ne pas dire des heures, depuis la conciliation manquée, je me surprends à espérer qu’une petite étincelle d’espoir pourrait embraser à nouveau ce feu qui couve en moi. Comment revoir Michel, et surtout, comment en discuter avec lui ? Il n’est plus dans une phase d’écoute, il serait à l’opposé même. Je me dois de sauver ce qui peut l’être encore. Et si ça doit passer par un renoncement à tout, je songe que ça vaut la peine de tenter le coup tout de même !
Il me faut me décider. Prendre le taureau par les cornes et faire face à mon destin. Je veux en avoir le cur net. Le plus simple pour joindre Michel, c’est encore de l’attaquer de front et pour cela, il y a son bureau. Donc ce matin, c’est décidé, je me lance à l’abordage de ce roc. Je veux simplement être certaine que plus rien n’est possible. C’est encore une Josiane très étonnée qui me voit débarquer à l’accueil des locaux de la société de mon mari. Oui ! Au regard de la loi, il l’est toujours.
Bonjour Josiane
Bonjour Madame
Je sens une hésitation pour le terme qu’elle voudrait associer à son salut. Elle préfère finalement ne rien rajouter.
Vous voulez que j’avertisse le patron de votre arrivée ?
Non ! Il est seul dans son bureau ?
Je ne sais pas je crois que oui. Mais
Allons, ma petite Josiane, vous êtes aussi une femme. Ne devrions-nous pas nous serrer les coudes dans les moments difficiles ?
Euh les moments ah ! Oui, vous avez raison.
Je peux y aller ? Je lui ferai la surprise.
C’est qu’il a donné des consignes strictes. Normalement, je risque ma place si je vous laisse entrer.
Vous n’aurez qu’à dire que je ne vous ai rien demandé, que je suis passée sans vous parler ! Laissez-moi juste une minute d’avance et ensuite vous l’avertirez. Ça vous convient comme ça ?
Ben oui ! Allez-y ! Je crois que ça devrait aller.
Je me dirige vers la porte garnie de cuir. Je ne m’embarrasse pas de frapper. Je déboule dans le bureau et il lève les yeux, surpris par cette intrusion.
Mais qu’est-ce qui se passe ?
Bonjour Michel ! Je crois que nous devons parler. Je n’ai pas d’autre alternative que de venir dans ton antre puisque tu ne veux plus répondre au téléphone.
Je crois que chez le Juge nous nous sommes tout dit, non ? Pourquoi insistes-tu Claude ?
Parce que j’ai la faiblesse de croire que je t’aime encore et que tu ne veux pas l’admettre, mais toi aussi !
Quel homme digne de ce nom pourrait accepter que sa compagne de plus de vingt ans aille coucher ailleurs ? Tu l’as fait en conscience. Je n’ai nulle envie que tu le refasses à la première occasion. Maintenant, donne-moi tes arguments et disparais définitivement de ma vie. Je suis beau joueur je te laisse une dernière fois la parole.
Je t’en remercie. Mais as-tu une seule fois pensé que la routine pouvait tuer parfois le bonheur ?
En parler avant d’aller te frotter à un autre ventre pour rester poli eut été plus judicieux. Désormais, j’ai tiré un trait sur ces temps heureux. La blessure est encore fraiche et je ne peux rien te pardonner. Sois heureuse avec ton gigolo et laisse-moi vivre en paix.
Je ne veux pas te faire de mal et je te l’ai dit, ce n’est qu’une erreur que je paie chaque jour.
Une erreur ? Mais tu es bien retournée voir ce type une seconde fois. Et là, c’est autre chose qu’une simple bévue, qu’un accident de parcours.
Michel
Va-t’en, Claude ! Tu n’es plus la bienvenue dans ces murs. C’est la seule chose à laquelle je suis attaché. Sans ma boite, j’aurais déjà fait une connerie. Tu m’as tout pris en fait tu as tout donné à cet inconnu de moi et je n’arriverai jamais à avaler cela. De plus, tu pouvais me faire part de tes attentes et désirs lors de la rencontre chez le Juge. Il n’est donc plus opportun que nous nous revoyions, sauf à l’audience.
J’aurai essayé un ultime recours. Je ne peux pas te forcer à m’aimer !
T’aimer n’est plus le problème, ne le sera jamais ! C’est ma confiance qu’il me serait impossible de t’accorder à nouveau. Je serais toujours sur le qui-vive. Imagine l’enfer que seraient mes journées en me demandant avec qui tu peux bien coucher, trainer tu vois, c’est là qu’est le nud du malaise.
bien ! Je pars ! Mais si tu en as envie, tu pourras toujours m’appeler quand tu le voudras
J’ai tourné les talons et par voie de conséquence, la tête également. C’est juste le bon moment, mes larmes allaient se libérer. Les vannes du cur sont dérangeantes et je n’ai pas besoin qu’il me voie faible ou pleurnicharde, en plus. Ce n’était pas un bon plan de venir ainsi ramper à ses pieds. Je peux tout à fait comprendre qu’il ne veuille plus de moi. La confiance oui ! Il a surement raison. Mais pourquoi gommer ce qu’il y a eu de plus beau dans nos deux existences ? Je salue Josiane avant de sortir.
Cette femme que je n’ai jamais finalement regardée me fait une sorte de sourire pincé. Je le prends comme tel. Elle a l’air désolée en me serrant la main pour le dire au revoir. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble qu’elle veut me dire quelque chose. Je n’ai pas le cur à l’entendre de toute manière. Après cela, je retrouve le brouhaha de la rue, les bruits familiers d’une ville qui bouge. Cette fois, hors de vue de tout ce petit monde qui côtoie mon Michel, je me laisse aller à des pleurs libérateurs.
Ma première réaction, c’est de faire une escale pour me rafraîchir le gosier et laisser passer l’orage qui bouleverse mon crâne. Les trois ou quatre clients du troquet ne font pas attention à moi. Dans un coin je sirote un verre bienvenu. Puis un second pour chasser les idées noires qui m’envahissent peu à peu. Et je reste là, à ressasser l’entrevue décevante qui vient d’avoir lieu. Je n’ai plus vraiment la notion du temps et le patron recharge mon godet au rythme soutenu de mes demandes réitérées. L’alcool me permet d’oublier passagèrement mes problèmes.
Quand est-elle entrée dans mon champ de vision ? Je n’en sais fichtre rien. Mais toujours est-il que la standardiste de mon mari est là, qui retient mon bras alors que celui-ci porte pour la énième fois à mes lèvres un contenu de verre ambré.
Je ne crois pas que ce soit une solution, vous savez. Vous aurez mal au crâne demain et vos soucis seront toujours là.
De quoi vous mêlez-vous ?
Franchement ? Vous êtes lamentable quand vous avez bu. Ne faites pas l’enfant. Il est inutile d’aller provoquer un accident dans cet état. Que feriez-vous sans permis de conduire ? Et puis je vous préfère à cette pimbêche qui pourrait bien vous remplacer si
Hein ?
La phrase de Josiane monte lentement vers mon esprit. Mais elle bouscule mes neurones. Il y a déjà une rivale sur les rangs ? Qu’est-ce qu’elle me baragouine celle-là ? Intriguée, intéressée, je finis par me remettre sur pied, chancelante et maladroite. Je m’accroche au bras de ma sauveuse et me laisse guider comme une enfant. Je perçois la voix de Josiane qui parle avec le patron du bar sans pour autant capter ce qu’ils se disent. Elle fouille dans son sac et l’autre saisit ce qu’elle lui tend. En fait, il me faut faire un gros effort pour comprendre qu’elle s’acquitte de mes consommations.
C’est surement vrai que son appartement, au rez-de-chaussée d’un immeuble, ne se trouve pas très loin. Pourtant c’est le bout du monde pour mon corps qui vacille. J’ai les idées confuses et je dois m’arrêter tous les dix pas pour reprendre un souffle qui me fait défaut. Je suis agrippée à l’aile de la secrétaire pour faire ce qui représente un marathon olympique pour parvenir à la porte d’entrée du « home » de la femme qui me soutient. Chez elle, c’est calme, frais et je me repose enfin sur un canapé moelleux à souhait. Elle se met à l’aise et me dévisage avec une moue que je qualifie de dégout.
Je vous ai connue plus flamboyante ! Enfin même dans cet état, je vous préfère à l’autre.
Mon cerveau se tord pour enregistrer les mots « l’autre » et d’une voix que je voudrais nette et claire, je pose une question brulante.
C’e c’est qui, l’autre ?
Je vous fais un café très serré, de quoi vous ramener dans notre monde et ensuite, nous discuterons.
Ouais je peux utiliser vos toilettes et votre salle de bain ? Je crois que je vais
Oui, oui, ne faites pas cela ici ! Venez !
Je suis tractée hors du canapé et je sens bien que mon estomac fait du yoyo. J’ai juste le temps de me rendre au petit coin. La prière des soiffardes se fait à genoux, les bras entourant le trône, le visage au-dessus de la surface immaculée. Je dois dire qu’après cette libération forcée, je me sens mieux. Honteuse aussi parce que mon esprit se remet en ordre de marche, position « on » correcte. Josiane m’attend de l’autre côté de la porte, une serviette humide à la main.
Bien ! Ça a l’air de vous avoir été salutaire ce retour en arrière. Vos idées sont plus claires ? Je vous abandonne au lavabo ou à la douche si ça vous chante. Je vais m’occuper du café. Tenez. Il y a une sortie de bain et des draps en éponge, prenez votre temps
Vous vous êtes gentille. Merci !
Vous ne pourriez pas rentrer en voiture et puis s’il vous arrivait quoi que ce soit sur la route, je m’en voudrais toute ma vie alors, prenez votre temps.
Ce que je balbutie n’est pas très audible. Et de toute façon, Josiane est déjà retournée dans sa cuisine. Alors puisque c’est permis, je fais glisser ma jupe, retire mon chemisier et m’engouffre dans la cabine de douche. L’eau froide du départ me ravigote, avant que celle plus tiède après réglage, me lave de mes brumes alcoolisées. J’y reste un long moment, prenant mes aises chez ma bonne samaritaine. Je fouille dans ma mémoire défaillante pour tenter d’y remettre de l’ordre. Qu’est-ce qu’elle m’a raconté ?
Ah oui ! Je crois que j’ai perçu que Michel avait une prétendante ! Pourquoi cette Josiane veut-elle me donner l’information ? Bizarre et à prendre avec des pincettes cette affaire. C’est exactement ce que ma petite cervelle encore sous alcool me dicte de faire alors que je termine de sécher mon dos. J’enfile maintenant le peignoir et la porte s’ouvre à nouveau.
Alors ? Tout va pour le mieux ?
Avec l’apparition du minois souriant de l’employée de Michel, me parvient aux narines une odeur prononcée de café frais.
Le jus est prêt ! Venez.
Le temps de me rhabiller
Venez comme vous êtes, vous ne risquez rien !
C’est assez gênant pour moi !
Bof ! Vous étiez bien pire au bistrot. Une chance que le patron soit un de mes amis et qu’il vous ait vu sortir de notre entreprise. Il m’a appelé quand il a compris que vous ne pourriez plus faire un pas sans aide.
C’est donc cela. Je me demandais par quel heureux hasard vous aviez atterri dans ce rade. Me voici renseignée. Pas une bonne idée de noyer mes espérances vous avez mille fois raison.
Surtout que ça pouvait vous créer plus d’ennuis que ça n’en aurait résolus.
Vous vous n’auriez pas de quoi soulager les maux de tête violents qui battent le rappel dans mon crâne ?
Doliprane, ça vous convient ?
Oui ! Ce sera parfait.
oooOOooo
Sur la table basse d’un salon que je peux tout à loisir contempler, deux tasses dans lesquelles un breuvage noir et acre fume encore, depuis qu’il est servi. Je bous au fond de moi de savoir qu’elle est celle qui s’est entichée de Michel. Je ne voudrais pas avoir l’air de poser des questions et je suis dans l’attente des explications promises par la standardiste. Je suis aussi curieuse de connaitre ses propres motivations également. Le comprimé soulage déjà mes maux de tête.
Heureuse de vous revoir avec une figure plus humaine. Pourquoi picoler de la sorte ? Ça n’avance à rien Claude.
à chacune ses motivations et sa manière de noyer le poisson.
Pour le noyer il doit l’être et même plutôt cuit ! Enfin, je ne pouvais pas vous abandonner dans ce bistrot. Je sais que vous êtes malheureuse, ce n’est pas une raison pour devenir alcoolique.
Oh, j’en suis loin et ce n’était qu’un égarement passager. Juste un coup de déprime. Mais vous aviez des choses à me dire ?
Ah oui ! Une femme vient tous les jours au bureau voir le patron !
Ce n’est donc pas normal ? Ces clients peuvent aussi être des femmes, il me semble.
Celle-là n’a rien d’une cliente. Elle snobe tout le monde et nous n’avons pas même un bonjour au passage. Nous sommes transparents, invisibles pour cette
Elle cherche un terme, puis s’abstient de laisser sortir celui que son cur et sa bouche associent. Pour le moment je n’en sais pas encore suffisamment pour me faire une idée précise sur l’identité de cette visiteuse.
Vous savez, Claude, nous n’étions pas vraiment des amies, mais au moins les filles des services et moi avions du respect pour ce que vous représentiez. La nouvelle ne nous aime pas et il n’y a donc aucune raison pour que l’inverse ne s’impose pas.
?
Je sens dans la voix qui profère ces mots, quelque chose d’indéfinissable. C’est drôle, je jurerais qu’elle regrette ce qu’elle vient de lancer. Et plus mes regards font le tour de ce salon, moins je sens de présence masculine chez cette femme. C’est bien rangé, je parierais presque ma chemise qu’aucun mâle ne vient jamais dans cet appartement. Une question me brule les lèvres, mais je m’abstiens de la lui flanquer au visage. Elle de continuer, comme si elle était dans un univers parallèle.
Cette folle, pourvu que votre mari n’en tombe pas amoureux. Ce serait une catastrophe pour nous toutes au bureau.
Enfin de qui me parlez-vous ? Je ne sais plus rien des fréquentations de mon mari depuis notre séparation.
Si je vous dis Natacha San Pietro, ça vous parle ?
C’est l’avocate qui s’occupe de notre divorce, que nous souhaitions à l’amiable.
J’ai dans l’idée qu’elle ne s’occupe pas que de votre divorce au vu des fréquentes apparitions et de la longueur de celles-ci dans le bureau de notre boss.
Mais je pense que vous vous trompez. C’est aussi mon conseil et Vous croyez vraiment qu’entre elle et Michel
Il serait étonnant que depuis tout ce temps il ne se passe rien entre eux. Et puis les cris étouffés qui nous parviennent de derrière la porte je suis aux premières loges, vous savez bien !
Non ! Pas elle ! Ce n’est pas possible. Mais de toute façon, je ne peux rien y changer
Si vous voulez, je peux vous appeler la prochaine fois qu’elle viendra le voir et si vous en avez l’occasion, vous pourrez juger de visu !
Comment ça, de visu ?
Ben c’est simple, comme ils prennent leur temps, il vous suffira de venir et d’entrer dans le bureau pour les prendre en flagrant délit vous pourrez asseoir votre position et aurez la main sur votre divorce enfin je vous dis cela, mais je ne vous ai rien dit !
Je franchement, je ne sais pas si c’est une si bonne idée.
Vous savez, c’est une peste cette Natacha. Pas un bonjour, jamais un mot sympa, nous ne sommes que de la m e pour elle. Je ne pense pas que pour le patron ce soit une bonne chose de sortir avec elle. Vous seule pouvez encore vous interposer. Il ne pourra pas vous mettre dehors et vous aurez ainsi peut-être l’opportunité de renouer un dialogue rompu depuis votre mésaventure.
Vous êtes donc au courant ? De ce qui s’est vraiment passé ?
De la totalité non, les grandes lignes oui. Du reste le boss est resté des semaines à squatter dans son bureau. Il y avait installé un lit de camp. Il s’y trouve peut-être encore. Il doit servir à l’avocate qui beugle comme une vache.
! Vous m’appelleriez ? Mais elle vient si souvent ?
Presque tous les après-midi le dossier doit être complexe. Oui, je vous donne un coup de fil dès qu’elle arrive et vous pourrez attendre avec moi au standard qu’elle crie pour aller voir ce qui se trame chez votre mari
Bon téléphonez-moi toujours, je vais y réfléchir Natacha San Pietro tout de même. Je vais voir aussi si l’éthique autorise un avocat à coucher avec son client Il devrait y avoir là un conflit d’intérêts puisqu’elle me représente également. Merci, Josiane, de ces précieux renseignements. J’aviserai si je dois intervenir ou non, le moment venu.
À mon avis, il est plus proche que vous ne le pensez Vous voulez un second café ?
Un café ? Ah oui, avec grand plaisir
oooOOooo
Je suis repartie une heure plus tard. L’humeur légère et surtout désembrumée des vapeurs d’alcool, mon cur battant la chamade. La bonne nouvelle donnée par la standardiste me réchauffe tout le corps et je ne sais pas pourquoi, j’ai la nette sensation, que j’entrevois le bout du tunnel. Chez moi je compulse des tas de bouquins, j’interroge internet et j’arrive à la conclusion qu’un avocat qui couche avec son client alors qu’il a une affaire de divorce en cours, ce n’est pas permis par la loi. Donc, si je peux en rapporter la preuve, j’éliminerai non seulement une concurrente déloyale, mais encore Michel devra revenir à la table des négociations avec moi.
Forte de cette pensée saugrenue, j’attends sereinement la suite des évènements. La douche que je prends avec délectation me ramène vers un temps plus heureux et je laisse volontiers vagabonder mes mains sur des endroits de mon corps qui sont en sommeil depuis bientôt un an. Oui plus personne ne l’a visité après cette histoire et mes ruptures. Michel, ses caresses, son amour me manquent, je dois bien me l’avouer. Je ne vais pas jusqu’à me donner un orgasme, mais je m’en approche suffisamment pour que mon ventre soit en feu.
C’est juste après le déjeuner du lendemain que Josiane me contacte par téléphone. Notre avocate est arrivée dans le Saint des Saints. La secrétaire me raconte, dès que je la rejoins au standard, que fidèle à ses habitudes, miss San Pietro n’a pas seulement jugé bon de la saluer. Elle s’est dirigée directement vers l’antre de mon mari eh oui ! Il l’est encore. Du lieu de travail de l’employée, c’est vrai que des chuchotements ou des soupirs étouffés nous parviennent, irréguliers et parfois ils ressemblent à s’y méprendre à de vrais râles. Quand ils deviennent continus, je m’approche de la porte et c’est plus distinct.
J’hésite, m’aperçois que Josiane se tord le cou pour voir si je vais oser. Alors mue par un réflexe irréfléchi, je prends et tourne d’un coup sec la poignée de porte et me voici dans l’entrebâillement de celle-ci. Un étrange spectacle s’offre alors à mon regard éberlué. Michel, le pantalon entirbouchonné sur les chevilles, et l’avocate qui la jupe retroussée le tient par le cou. Elle n’a pas de culotte et je constate qu’elle ne fait pas de bronzage intégral. Son derrière tout blanc est à la hauteur du sexe de son client. Il n’y a pas besoin de voir pour comprendre que la bite de mon homme est enfoncée jusqu’à la garde dans la chatte de cette fieffée salope.
Le comble de tout ceci, c’est que le bruit de mon arrivée, couvert par les vagissements du conseil, ni lui ni elle ne m’ont entendu entrer, et qu’ils continuent sans se douter que je suis la scène avec attention. Dans mon sac, j’ai mon téléphone portable et comme tous de nos jours, il fait aussi office d’appareil photo. J’ai tout loisir de prendre une bonne dizaine de clichés. Puis alors que notre grosse cochonne persiste dans ses déhanchements hard, je me racle la gorge. Le sursaut immédiat de mon mari désarçonne l’amazone. Surpris les deux me font face ! Triste spectacle que celui des deux amants désunis. Natacha est blême. Quant à Michel il a la mine déconfite.
Mais Claude, qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi diable Josiane t’a-t-elle laissé entrer ?
De quel droit nous dérangez-vous ?
Pardon ? Dites-moi Maître vous vous tapez tous vos clients lorsqu’ils divorcent à l’amiable. Je vous rappelle que je vous paie également. Je ne pense pas que ce soit du gout du bâtonnier cette affaire.
Bon Dieu, Claude qu’est ce qui te prend. Tu m’as bien trompée avec ton gigolo.
Peut-être, mais il n’y a eu aucun conflit d’intérêts entre toi et lui ! Juste le partage de mon corps peut-être. Celle-là, ce sont mes affaires qu’elle veut partager et je ne serai jamais d’accord. Ça fait longtemps que tu te la tapes, cette salope ?
Je ne vous permets pas de m’insulter ! Vous n’avez donc aucun respect pour les autres ?
Parce que c’est sans doute à vous de me faire la morale vous que je trouve en train de vous faire sauter par mon mari ! Eh oui nous ne sommes pas divorcés ! M’est avis que la Juge aux affaires familiales va être très intéressée par la suite à donner à cette forfaiture.
Tu tu ne peux pas faire ça, Claude ! Après tout c’est toi qui as mené notre couple à la faillite.
Enfin Michel depuis quand dure votre petit manège ? Je suis en droit de me poser la question. Cette salope est ton conseil depuis bien avant cette histoire entre nous. Alors rien ne me dit que vous n’aviez pas commencé vos turpitudes longtemps en amont de ma faute ! Je vais faire procéder à une enquête.
Bon on se calme tu veux. Natacha n’est pour rien dans
Je la trouve en train de baiser dans ton bureau et elle est étrangère à notre affaire ? Allons, Michel, ne soit pas de mauvaise foi en plus. Demande à ta maitresse de se rhabiller et de nous débarrasser le plancher. Ça vaudra mieux pour tout le monde.
Dans les yeux bleus de l’avocate, je lis comme des éclairs de haine. Mais elle se tait, se sentant en position d’infériorité. Elle remet de l’ordre dans sa tenue et quitte les lieux avec des regards peu amènes à mon encontre. Alors qu’elle passe près de moi pour filer, je la stoppe dans son élan.
N’oubliez pas cher maître que j’ai eu le temps de faire quelques belles images de votre joli cul blanc et que je n’hésiterai pas à en faire usage.
Aucune réponse de sa part, hormis un haussement d’épaules significatif. Elle quitte l’endroit et un étrange face à face à lieu entre l’homme avec qui j’ai partagé tant de choses et moi. Il est également dans ses petits souliers, ne sachant pas trop comment se sortir du mauvais pas dans lequel je viens de le plonger.
Tu ne vas tout de même pas nous faire d’histoire. Après tout, je ne suis qu’un homme et c’est bien toi, qui la première a déclenché l’orage. Elle n’a fait qu’être là au bon moment j’en avais besoin pour me sortir de la tête ta trahison.
Je peux le concevoir. Pourquoi me l’avoir imposée pour notre divorce à l’amiable ? Un avocat anonyme, inconnu de nous deux aurait aussi bien fait l’affaire. Non ! Il a fallu que tu savoures ta vengeance jusqu’au bout, n’est-ce pas ? Vous deviez bien vous foutre de ma gueule, ici tout autant qu’au tribunal.
Nous n’avons jamais pensé à mal. Tu vois que ça fait mal d’être trompé ! Ce n’est pas l’avocate avec qui je couche, mais bien la femme.
Ses deux casquettes sont étroitement liées aux regards de la loi Michel, je t’aurais pensé plus futé. Je crois que nous sommes désormais « match nul ». Peut-être pourrions-nous en reparler en dinant tous les deux au restaurant ce soir ?
C’est le prix à payer pour ton silence ?
Non ! Après tout, elle aussi peut venir ! Je veux seulement que nous ayons une conversation entre adultes. Ce n’est pas la mer à boire. Et ta Natacha peut, si tu le désires venir avec nous tu auras donc auprès de toi, toutes les femmes de ta vie !
Il baisse les yeux, pris la main dans le sac et parait réfléchir quelques longues secondes. Je ne vais surement pas le lâcher comme ça. Cette fois je veux une franche explication et si elle passe par un chantage que je réprouve, je suis suffisamment en colère pour passer outre à la morale. Michel a rajusté sa tenue vestimentaire, cachant à ma vue ce que j’ai touché si souvent. Puis il empoigne le téléphone.
Allo ! Natacha Claude propose un diner ce soir pour mettre les choses au point. Tu peux être des nôtres si tu le désires.
Je n’entends bien entendu rien de ce qu’elle lui répond. J’imagine qu’elle n’est pas courtoise à mon égard, mais je m’en contrefiche. Au point où nous en sommes, je ferais n’importe quoi pour sauver les meubles. Lui ne me quitte pas des yeux et lorsqu’il ferme le clapet de son téléphone, j’attends impatiente ce qu’il va me dire.
C’est bon Claude ! Elle sera là, mais demande juste que ça se passe dans le calme. Je te donne moi ma parole que rien ne s’était passé avant que tu ne donnes toi, des coups de canif dans le contrat de mariage. Ma parole vaut la tienne, il me semble.
Je veux bien te faire confiance, moi !
J’ai insisté sur le MOI et il tique, je le vois bien. Comme quoi le choix et le poids du vocabulaire changent en fonction des circonstances. Nous décidons de retourner dans le restaurant ou nous nous rendions le plus fréquemment durant toutes nos belles années. Et le rendez-vous et pris pour vingt heures. C’est presque avec la fierté d’une victoire que je ressors du bureau. À l’accueil, je lis l’attente dans les yeux de Josiane. Je vais vers elle pour la saluer.
Merci Josiane vous êtes une vraie amie finalement.
Oh, Claude ! Si vous saviez comme je suis toutes les filles vont vous dire merci, je peux vous l’assurer.
Eh ! Attendez, rien n’est acquis. C’est juste une manche de gagnée.
Je sais ! Mais puis-je me permettre de vous embrasser pour nous toutes ?
M’embrasser ? Ah, m’embrasser ? Oui, oui bien évidemment.
Elle s’approche de moi qui lui tends le visage. Les lèvres qui avancent vers celui-ci vont entrer en contact avec ma peau. C’est au dernier moment qu’elles me surprennent par le chemin qu’elles empruntent soudainement. Ce ne sont pas mes joues qu’elles cherchent et je ne comprends pas de suite. Estomaquée par l’aplomb de cette femme, je suis sidérée et c’est tout bêtement que je la laisse me rouler une pelle. Un vrai baiser langoureux auquel je donne une suite favorable sans m’en rendre compte.
Je merci Claude ! J’en avais envie depuis l’épisode du bar. Vous me tentez tellement et si vous n’aimiez pas votre Michel, je me serais battue pour vous conquérir aussi, je vous l’assure. J’ai un petit faible pour les femmes
! Mais
Chut ! Je sais que je n’ai aucune chance, que ce sera le seul baiser que je vous volerai je n’ai pas su résister à la tentation !
Alors comme si je devais la faire mentir, c’est moi qui en signe de remerciement lui cloue une seconde fois le bec, par un bécot dont elle se repait. Puis mon esprit se remémore l’intérieur de l’appartement de notre secrétaire. Je revis cette impression que chez elle c’était trop bien rangé, qu’aucun mâle ne devait y venir souvent désormais, j’en connais la vraie raison. Josiane est lesbienne et je ne l’aurais jamais su sans cette affaire. Ensuite, je quitte les locaux de mon mari, bien décidée à faire face à cette Natacha qui va diner en notre compagnie. Si je ne retrouve pas Michel, j’aurais au moins tout tenté pour le reprendre !
À suivre