C’est le grand jour aujourd’hui, Marion le sait. C’est aujourd’hui qu’elle commence son "nouveau" travail. De ce qu’on lui en a dit, c’est le même que celui qu’elle faisait au secrétariat alors pas de raison de s’inquiéter. Mais on lui a aussi fait comprendre que ce genre d’emploi demande une extrême rigueur sur son travail et sur elle-même. Il ne faut pas plaisanter avec la direction.
Ce matin, Marion ne peut rien avaler, trop angoissée de la journée qui l’attend. Salim essaye de la rassurer mais rien n’y fait ; Marion stresse.
Elle fait le même chemin que d’habitude, descend à la même station et s’engouffre dans la même porte en verre tournante de l’entreprise. Sauf que, au lieu de s’arrêter au deuxième étage comme à son habitude, elle doit monter au tout dernier… le seizième.
Pas le choix, si elle veut arriver sans avoir monté l’équivalent du Mont Blanc en escalier, elle doit emprunter l’ascenseur.
Elle y croise deux de ses collègues. Elle les connaît bien ces deux-là ; des professionnels de l’argent à la langue bien pendue. C’est ce genre de collègue que Marion cherche à éviter d’habitude. Et ça ne rate pas. Les compères la vannent sur sa veste de chemisier froissée, ses talons pas si aiguilles que ça et j’en passe. L’un d’eux lui effleure les cheveux de sa main grasse et moite. Marion se retourne et le regarde d’un air sombre et glacial ; il se marre. Ce genre de gars n’est pas le moins du monde impressionné par une fille dans le genre de Marion, lorsqu’elle s’énerve on la trouve "mignonne"… Personne n’a envie d’avoir l’air mignon quand il est en colère. Cela agace profondément Marion, mais elle doit faire avec depuis toujours, alors elle commence à avoir l’habitude.
Les deux trolls quittent l’ascenseur deux étages avant Marion. En guise d’au revoir, ils lui font une dernière allusion lubrique sur la taille de ses seins.
C’est vrai que les 90D de Marion ne lui facilitent pas la vie en général. Ses fesses également sont celles d’une Tunisienne pure race ; épaisses et rebondies. Pour finir, sa taille de guêpe subjugue les parties de son corps pour donner un ensemble proche de la perfection physique ultime. Bref, un calvaire pour la douce Marion.
Arrivée au dernier étage de la forteresse financière, Marion se retrouve face à une haute porte faite en bois de chêne. Des moulures discrètes dépeignent des scènes de l’antiquité ; batailles, soldats, chasse, hétaïres et autres figures grecques. D’autres personnages, situés plus bas, ont des drôles d’allure: des femmes aux cheveux immensément longs se baignant dans des bassins, des hommes aux pieds-de-chèvre et aux cornes de bouc qui jouent de la flûte en gambillant autour des femmes. D’ailleurs c’est un… un pénis qui dépasse du pelage de ce fier mâle corné ? On dirait bien.
Quel directeur irait mettre de tels dessins sur la porte de son bureau ? Sûrement un gros pervers lubrique ; Marion s’attend au pire en voyant cela.
Elle était tellement hypnotisée par les petits personnages gravés qu’elle en a oublié de frapper. C’est alors que la lourde porte s’ouvrit dans un grincement digne des châteaux forts écossais. Marion sursauta et recula prestement de la porte afin d’être face à son nouveau patron (aussi parce qu’elle aurait difficilement assumé son engouement pour les gravures impudiques et obscènes).
Un homme fit son apparition au travers de la porte. Habillé de façon très élégante, il avait l’air quelque peu en colère. Marion s’apprêta à le saluer et à se présenter comme étant sa nouvelle assistante mais l’homme ne lui adressa qu’un simple regard dédaigneux avant de disparaître dans la cage montante et descendante de métal. Marion comprit alors que l’homme qu’elle venait de voir n’était pas son patron. Elle distingua une plaque dorée comme celle des bureaux du dessous sur le côté droit de la porte, quelques fioritures en plus. Il y était écrit :
Frédérique Hartmann – Direction générale.
Ce sera donc "Oui Monsieur Hartmann", "Tout de suite Monsieur Hartmann", "Aucun problème Monsieur Hartmann, je m’en charge". Marion s’entraînait déjà à prononcer les quelques formules magiques indispensables à son nouveau travail. C’est alors qu’une voix venue de l’intérieur de la pièce l’appela par son prénom. Mais, contre les attentes de Marion, c’est une voix féminine qui l’appela ; une voix forte, majestueuse avec une once de sévérité.
La personne à l’intérieur du bureau somma Marion d’entrer:
Ne sois pas timide, entre !
Marion fut contrainte d’obéir à son nouveau… apparemment sa nouvelle patronne.
En entrant dans la pièce, elle eut le souffle coupé tant ce qu’elle avait sous les yeux était… inhabituel. Un immense bureau aux murs parfaitement blancs recouverts de toutes sortes de toiles: des uvres d’artistes célèbres tel que Paul Gauguin ou Salvador Dali mais également des uvres de photographes mettant en scène des femmes dans des positions plutôt… libérées. Le bureau tournait le dos à une grande baie vitrée qui donnait vue sur le Tout-Paris, les meubles étaient d’un style moderne indiscutable tant leur forme était géométriquement variée. La pièce contenait également une partie dite "petit salon" avec un énorme tapis noir et blanc fait de velours placé en dessous d’un ensemble de fauteuils de cuir ainsi que d’un canapé assorti. Le tout face à l’âtre d’une magnifique cheminée en marbre, elle aussi décorée de petits personnages semblables à ceux sur la porte. Tant de luxe était inhabituel pour la douce Marion, elle qui avait toujours vécu comme les trois quarts de la population mondiale ; sans moyens conséquents. Voir toute cette richesse mobilière était déjà exceptionnel, mais la suite allait la transporter encore plus loin.
Après avoir balayé la pièce et avoir constaté son contenu, c’est sur la personne en face d’elle que son regard se posa.
Une jeune femme, la trentaine, vêtue d’un sublime tailleur noir aux traits de couture blancs. Des cheveux courts et châtains enveloppent son visage aux traits subtils et délicats et sa taille est pareille à celle de Marion: une vraie guêpe elle aussi.
En voyant cette femme, Marion eut un effet de stop. Elle la contempla, elle, son visage, son buste, ses jambes ; tout cela était d’une rare harmonie. L’aura dégagée par cette personne était celle d’un lion, ou plutôt d’un tigre ; une tigresse prête à traquer, à bondir et à éviscérer ses ennemis jusqu’à ce que tous s’en soient remis à sa clémence.
La femme est assise à son immense bureau fait de bois exotique sur un grand fauteuil de cuir couleur blanche. Ses doigts joints entre eux semblables à des griffes acérées, une jambe apposée sur l’autre et un verre de scotch sur le côté lui donnent un air de "Parrain"; une Marraine de la haute finance.
Approche-toi, ne sois pas timide voyons. lui dit-elle d’un ton ferme.
Marion s’exécute et s’avance face à sa patronne qui l’observe attentivement.
Enchantée, moi c’est Frédérique, Frédérique Hartmann ; directrice générale de cette entreprise.
Enchantée Madame Hartmann, moi je m’appelle Marion. J’ai été envoyée ici par Madame Leclerc et…
Frédérique l’interrompit.
Je sais qui tu es, pas la peine de me sortir ton pedigree. fit-elle d’un ton amusé.
Frédérique remarqua que Marion avait noté la présence du verre de scotch sur son bureau. A 8h05 du matin, un mardi, cela semblait un peu excessif.
Ne fais pas attention à ça, c’est exceptionnel. Je sors d’un rendez-vous plutôt pénible avec un imbécile d’actionnaire qui est venu pleurer parce que son dividende était trop peu élevé. Tu y crois à ça ? Le mec empoche quelque chose comme 500 000 billets et il vient se plaindre. On aura tout vu.
Pendant que Frédérique pesta contre tout ce système d’actionnariat, Marion resta très silencieuse, presque obnubilée par son interlocutrice. Depuis que ses yeux s’étaient posés sur ce magnat de la finance, elle n’arrivait plus à penser à autre chose. Le moindre écart de pensée était ramené droit vers celle de Frédérique. Ce n’était pas simplement l’effet du patronat, on aurait dit autre chose.
Bon ! On t’a expliqué en quoi consistait ton boulot ?
Euh… On m’a dit que ce ne serait pas vraiment différent de celui que je faisais au secrétariat alors…
Exact ! Bravo ! 10/10 ! Home run ! s’exclama Frédérique en se levant brusquement.
Voyant la gêne évidente de Marion face à sa réaction, la patronne reprit son calme.
Excuse-moi, c’est qu’en plus des actionnaires, j’ai mes homologues de Taïwan qui m’ont pris la tête toute la nuit. Du coup, je ne te cache pas que je suis légèrement crevée ce matin.
Vous avez l’air surmenée Madame Hartmann, voulez-vous que…
Je t’en prie, Fred. Appelle-moi Fred. Si tu dois être mon assistante personnelle, je ne vais pas supporter d’entendre le nom de ma mère prononcé à chaque instant.
Bien Madame… euh… Fred. Que faisons-nous aujourd’hui ?
Le premier contact est passé ; Marion a fait connaissance avec Frédérique, sa patronne. Au premier regard, elle ressemble à tous ces milliardaires délurés et excentriques, prêts à claquer du fric à la moindre occasion. Mais, après avoir passé quelques jours en sa compagnie, l’avoir assistée dans ses rendez-vous et autres tâches patronales, Marion a vu un autre visage de Madame Hartmann. Autant cette femme peut faire preuve d’une repartie cinglante auprès de ses salariés un peu trop machistes ou envieux, autant elle sait faire preuve d’un grand professionnalisme auprès d’investisseurs potentiels sans passer pour une carpette, autant elle peut lâcher des blagues de fesse encore pire que celles que Marion a entendues de la bouche de ses collègues masculins.
Il semble que Frédérique Hartmann soit une personne très vivante, businesswoman extrêmement aguerrie et totalement en déphasage avec le monde qui l’entoure ; à se demander comment elle est arrivée à cette place. Non pas par manque de compétences (loin de là) ni même par caractère (car elle est pire que la plupart des hommes) mais plutôt par manque de désir. Cette femme adore ce qu’elle fait, cela se lit dans ses yeux mais elle semble attirer par d’autres chemins, plus ouverts, moins économiques, moins centrés sur les axes familiers de la richesse. Oui, car Madame Hartmann est riche, très riche, immensément riche ; tellement riche que le matérialisme n’a plus de raison d’être face à elle. Elle a raconté à Marion qu’un jour, elle s’était acheté une Porsche très belle, qu’elle avait voulu faire des dérapages contrôlés sur un parking pour l’essayer et qu’elle s’était foutue dans un fossé.
Pour conclure en beauté, Madame Hartmann avait mis le feu à sa nouvelle voiture avant d’appeler les pompiers pour qu’ils viennent éteindre sa connerie.
Au fur et à mesure que les semaines passaient, Marion devenait totalement accro au tempérament de Frédérique. Cette femme lui inspirait une telle vitalité, un tel élan d’indépendance et de féminité qu’il lui était impossible de la quitter des yeux en sa présence. La patronne la rinçait abondamment en matière de restaurant et de petits "pourboires"… Elle lui a même offert un nouveau tailleur tout neuf de chez Channel, elle connaît apparemment bien le PDG de la maison et ce dernier n’a pas hésité à lui faire cadeau d’une de ses plus belles pièces… Pièce qu’elle m’a offerte ensuite. Elle est vraiment incroyable cette madame Hartmann.
Un soir de veille de week-end, Marion s’en alla rendre son dernier compte-rendu d’une réunion à sa chef. Cette dernière était dans son bureau, assise face un énorme et flamboyant feu de cheminée qui faisait rompre les souches dans l’âtre de marbre sous l’effet de la chaleur intense dans des craquements bruyants.
Madame Hartmann fumait une cigarette, un verre de scotch (encore) à la main, les yeux rivés sur les flammes. Marion entra dans la pièce, s’annonçant discrètement puis posa le compte-rendu avant d’entreprendre de disparaître dans l’entrebâillement de la porte.
Juste avant qu’elle ne parte, Frédérique l’appela d’une voix calme et détendue.
Marion tressaillit légèrement en entendant son nom prononcé, elle fit demi-tour et revint vers le canapé. Madame Hartmann lui tournait le dos face aux crépitements incandescents.
Merci pour ton courage. Aujourd’hui, quatre réunions d’affaires à résumer, je sais que c’est du boulot.
Oh ce n’est rien, j’ai l’habitude vous savez.
Tu ne veux pas t’asseoir un peu ? Je t’offre un verre.
C’est que… je dois prendre mon train alors…
Allez, rien qu’un petit instant… Ça me ferait plaisir.
Bon, mais c’est bien parce que ça vous fait plaisir alors.
Résignée, Marion s’installa sur le long canapé noir, très confortable au passage.
Tu bois quoi ? Tu aimes le whisky ? demanda-t-elle en tournant la tête dans la direction de Marion.
Oh euh… oui, pourquoi pas…
Tu préfères peut-être quelque chose de moins fort ? J’ai du gin, de la vodka, du rhum, du vin, du…
Un verre de vin, ce serait parfait.
Bien, tout de suite patronne ! dit Frédérique tout en se levant et en pouffant de rire.
La démarche de Frédérique montrait clairement qu’elle n’en était pas à son premier verre, ni à son deuxième. D’un déhanché sublime, elle se dirigea vers un énorme globe terrestre disposé à côté d’un des fauteuils. Le globe contenait en fait un bar intégré avec plus d’alcool que de pays.
Elle attrapa une bouteille, regarda l’étiquette et se tourna vers Marion.
Château Latour 1961 ça te va ?
Hein ?! Euh… Oui parfait… Je suppose…
Fred revint, deux verres à la main, s’asseoir sur le canapé juste à côté de Marion. Elle lui passa le verre avant de trinquer avec elle.
Au travail bien fait !
Elle but la totalité de son verre avant de retourner se servir au globe. Marion prit une minuscule gorgée du breuvage ; ce vin était assurément le meilleur qu’elle avait goûté et sûrement le meilleur qu’elle ne goûterait jamais.
C’est sublime Madame Hartmann ! Vraiment sublime !
C’est un de nos clients, chaque année, il m’expédie une caisse de vin ; en général, il n’est pas trop mal.
Merci encore Madame Hartmann, je ne bois jamais ce genre de chose d’habitude.
Ça va faire bientôt 1 mois que je te dis de m’appeler Fred. "Madame Hartmann" ça me crispe. J’ai l’impression de passer ma vie au boulot.
Excusez-moi Madame… euh… Fred. J’ai du mal à être trop familière avec vous, vous êtes tellement imposante et intimidante. Votre façon de recadrer les hommes quand ils vous manquent de respect c’est… J’aurais voulu être comme vous.
Oh tu sais, les hommes ici, ce sont des chiens. Ils obéissent à la manière des chiens ; tu les frappes, ils t’obéissent. Il n’y a rien de plus fragile que l’ego d’un trader, c’est moi qui te le dis.
Oui mais… Quand même, j’aurais voulu faire comme vous.
Pourquoi ? Des hommes t’embêtent ici ?
Non pas vraiment, mais…
En vérité, cela fait presque 1 mois que Marion subit deux de ses collègues. Les deux trolls d’ascenseur ne cessent de l’embêter, d’une façon assez provocante. La pauvre Marion explique ses déboires à Frédérique qui l’observe attentivement.
Mais ce n’est rien, ne vous inquiétez pas.
Deux mecs dans l’ascenseur qui… Ah oui je vois, c’est Lucien et Mathieu c’est ça ?
Marion acquiesce timidement, elle n’aime pas mettre les autres en porte à faux ; ce n’est pas son style.
Eh bien, ils ne t’embêteront plus crois-moi. Je vais m’occuper de ces deux-là.
Oh non non non ! fit Marion, paniquée.
Ce n’est pas la peine, ce n’est rien, vraiment.
J’insiste, laisse-moi te rendre la vie plus facile ; je te dois bien ça. Depuis que tu es là, mes affaires n’ont jamais été aussi rangées. Tes comptes rendus sont parfaits et c’est même toi qui m’as signalé une anomalie sur le contrat la semaine dernière.
C’est vrai que Madame Hartmann a bien failli se faire avoir la semaine dernière. Sur un contrat à plusieurs millions, une clause engageait la responsabilité de l’entreprise à prendre en charge la totalité des frais en cas de l’échec des investissements. La pauvre Madame Hartmann, elle travaille tellement qu’elle en rate des clauses. Une fois signalé par Marion, Frédérique a revu le contrat tel un chef de guerre et a foutu à poil ses clients, clients qui, au final, lui ont cédé leur capital sans clause particulière. Ils savent que personne ne perd d’argent chez Madame Hartmann.
Encore une fois, j’insiste. Laisse-moi t’aider Marion.
Bon… Très bien… C’est vrai que ce serait bien si je n’avais plus à en souper tous les matins et tous les soirs, fit Marion en rougissant.
Aucun souci. Je ne laisserai personne emmerder mon assistante personnelle…
Sur ces mots, Frédérique se rapprocha encore davantage de Marion. Leurs cuisses se touchent et leurs regards s’entremêlent. Un silence vint envahir la pièce. Les deux femmes se regardent dans le blanc de l’il, sans un mot. Marion lit dans les yeux de Frédérique une sorte de désir de braise, une flamme incandescente, une brûlante envie de…
Marion se racla la gorge et posa son verre de vin sur la table basse.
Il faut que je rentre, mon copain… Enfin il m’attend quoi…
Tu veux que je te raccompagne jusque chez toi ?
Oh non non, ne vous donnez pas cette peine.
Sentant l’embarras de Marion (et voyant la rougeur de ses joues), Frédérique n’insista pas.
Très bien, comme tu le souhaites. On se voit lundi alors. dit-elle en faisant un clin d’il.
Oui… D’accord… Très bien… à lundi alors.
Marion s’empressa de se lever et de se diriger vers la porte du bureau de Frédérique. Juste avant de sortir, par l’entrebâillement de la porte, elle se retourna vers sa patronne, toujours assise mais la tête tournée vers l’entrée, comme si elle avait suivi Marion du regard tout le long.
Merci encore pour le verre…
Frédérique esquissa un sourire avant de dire:
Merci à toi d’être restée Marion… Ta compagnie me fait… le plus grand bien.
Un dernier éclat écarlate sur le visage de Marion, puis cette dernière, fit son plus beau sourire.
A lundi Fred.