Ce jour là a mal commencé. Dès le matin Bruno a remis en question notre accord sur la répartition des charges dans notre couple. Il souhaitait ouvrir un deuxième cours de danse à une vingtaine de kilomètres de chez nous. Il avait la salle, les autorisations administratives et il comptait sur moi pour tenir la barre ; ce qui mobligerait à abandonner mon métier dinfirmière. Devant mon attitude hésitante il mannonça avoir une autre solution : Barbara, une élève de lan passé, était prête à prendre la place. Je me suis demandé si tout navait pas été préparé sans moi et si mon mari naurait pas été très déçu de mentendre accepter le poste destiné à Barbara. Car elle avait nécessairement été dans la confidence avant moi puisquelle était disponible. Cette fille lui avait fait une cour assidue, navait reculé devant aucun sacrifice pour attirer lattention de Bruno. Il avait dû lui imposer des tenues moins provocantes pour les leçons. Il mavait raconté aussi comment elle se pendait à son cou ou lui balançait des coups de pubis pour le tenter. Je naimais pas cette garce et il voulait lassocier, en faire un membre de léquipe Lidée me vexa profondément et ma réplique fusa:
— Vas-y, confie lui ce poste si tu lui en as déjà parlé. Barbara, tu nas pas dautre choix ? Hum je naurais jamais cru que tu.minfligerait pareil affront !
— Très bien. Cet après-midi jirai donc visiter la salle avec Barbara . Je reporte mes leçons du jour à la semaine prochaine et jafficherai ce mot sur notre salle. Et toi, viens-tu avec nous ou assures-tu tes cours.
— Va sans moi. Je travaille normalement. Je vais réfléchir à augmenter ma patientèle, hélas je ne pourrai pas toffrir de massister. Barbara pourra se partager entre tes deux établissements et semparer de ma place. Elle a manuvré habilement.
Bruno a tiqué, est parti fâché, sans le bisou habituel. Je suis allée chez mes malades. Jétais furieuse, larrivée de Barbara me révoltait; pourquoi celle-là était-elle pressentie avant que jaie eu le temps de réfléchir et de penser à une autre solution ? Bruno se lassait-il de moi ? Avait-il une relation particulière avec cette nana qui lui avait fait du gringue, achetait-il ses faveurs en lui procurant un poste ? Était-il indispensable de lemmener en reconnaissance dès cet après-midi ? Ces deux là me bernaient. La demoiselle à la cuisse légère donnerait des gages immédiatement, ouvrirait les jambes et Bruno tremperait son pinceau dans ce pot de colle et senverrait en lair dans le four ardent de sa cochonne pour conclure le contrat.
Jaurais dû accepter immédiatement pour déjouer leur plan. Quoique ils auraient trouvé un autre moyen de se rencontrer si cest leur désir, et la précipitation étonnante de Bruno à désigner aussi vite a solution de remplacement ne laisse guère de doute. De plus mon métier dinfirmière me passionne. Je mettrai ma démission dans la balance ce soir. Cest notre première brouille importante. Jai ma fierté, la présence dune fille sans gêne entre Bruno et moi mest insupportable, il lapprendra sil ne la pas deviné. Jannoncerai ma détermination à mon mari, je lui dirai haut et fort:
— Nimporte qui sauf Barbara, ou je cesse complètement la danse. Par ailleurs je céderai à ton assistante ma place dans ton lit, je naccepte pas dêtre mise en concurrence avec ce type de nénette que tu as décriée lan passé. Son genre te plaît soudain, grand bien te fasse. Ne compte plus sur moi, ce soir je dormirai à lhôtel, tu peux continuer à la baiser à couilles rabattues.
Voilà ce que jétais disposée à envoyer dans la figure de Bruno. Plus jy pensais, plus ma colère grimpait, plus je me sentais mal. Du doute je passais au désespoir parce quune garce avait mis le grappin sur mon homme. Cétait injuste et je men voulais de navoir rien vu venir. Certains de mes malades mont regardée de façon étrange. Barbara avait-elle déjà ébruité la nouvelle ? Ce serait un comble. Lune me parla de ma pâleur, un autre me demanda si javais perdu mon joli sourire en examinant mon visage dun air soucieux. Mon malaise se lisait sur ma figure malgré mes efforts pour dissimuler ma peine, ma révolte et ma colère. La jalousie est un vilain défaut, dit-on. Jétais follement jalouse, jenvisageais de me venger dès la confirmation du choix de Barbara. Quavait-elle de plus que moi ? Un an ou deux, une réputation sulfureuse bien assise, des expériences sexuelles plus nombreuses peut-être, une absence complète de scrupules. Fallait-il que je devienne aussi salope pour éblouir mon mari et le ramener à la raison ? Je le jugeais normal et tout à coup apparaissait un satyre sous influence. Libre à lui détaler cet aspect caché, mais ce serait pas moi; je ne serais pas la risée du monde environnant.
A midi trente, nouvelle désillusion. Sur la table de la cuisine un billet laconique augmente ma rage
– « Regrets, pas possible dattendre, rendez-vous avec Barbara avancé »
Pour la première fois depuis notre mariage nous ne partageons pas notre repas de midi. Jexplose, combien de fois me suis-je fait violence pour partager ce moment privilégié. Barbara paraît et fait sauter toutes nos habitudes. Ce coup bas Bruno ne lemportera pas au paradis. Il doit être avec elle dans un restaurant si ce nest entre les draps dun hôtel. Salaud !
Dans cet état dépressif je me rends chez mon élève Louis.
-Bé ! Sabine, que tu a lair sombre. Merci dêtre venue. Commençons immédiatement par lexamen de mes travaux de photographie.
Il me présente de petits books. De braves jeunes filles au sourire de commande, vues de face, de profil, de trois-quarts ou darrière, droites, penchées sur un côté, poing sous le menton, poitrine saillante, déhanchées,finissent par abandonner un châle, ou par élargir un décolleté. Les plus hardies supportent un sein dénudé dune main quand elles ne poussent pas laudace à offrir les deux. Certaines poses suggestives mettent en évidence une croupe fournie mais habillée, de longues jambes attirantes dont la partie haute disparaît dans une mini jupe. Lensemble reste correct mais débouche sur lindispensable présentation en maillot de bain. Le photographe se laisse prendre au jeu, insiste sur les formes féminines. Il me fixe, attend mon avis. Je me dis peu qualifiée.
-Accepterais-tu de poser pour moi. Ce sera gratuit ?
— Cest que je nai pas de maillot de bain. Je ne saurais pas me dénuder de façon compromettante. Mais je veux bien te laisser prendre quelques clichés.
-Merci, Sabine, tu es vraiment généreuse. Ces photos resteront entre nous, je ne montrerai ton book à personne dautre que toi, tu trieras celles quon garde , je détruirai les autres. Là tu es presque parfaite, naturelle, sans couche de peinture. Mais tu dois sourire un peu mieux. As-tu des soucis ?
-Non, un peu mal à lestomac. Sinon tout va bien.
Doux mensonge. Je nai pas lintention de porter sur la place publique mes soucis privés. En regardant les photos de ces demoiselles candidates à concours ou examens, jai oublié un instant la trahison de Bruno. Aucune de ces jeunes filles ne ma rappelé Barbara ! La question de Louis réveille brutalement ma douleur de femme trompée. Le photographe tourne autour de moi, mitraille mon visage, relève une mèche de cheveux, dégage une oreille, me demande de lâcher le cordon de ma tunique pour dénuder mes épaules.
« Sors ci, pousse ça en avant ou en arrière, plie la taille, penche-toi, mets toi sur une jambe., etc » les ordres fusent, jexécute du mieux que je peux. Quand je dois adopter des positions lascives, remonter le bas de ma jupe, métendre sur le canapé, etc. je pense à ma vengeance : Bruno verra que je suis photogénique et que je peux plaire. La prochaine fois, cest promis je prendrai de la lingerie fine, Louis aura loccasion de me photographier en petite tenue, de montrer au niveau de mon entrejambe, dans les mousses de dentelle le pli de ma fente ou celui de mes fesses, un tétin sautant dun bonnet de soutien-gorge, il saisira la cambrure de mes reins en position debout ou à quatre pattes. Je lui en parle, il ouvre des yeux incrédules, se réjouit et me promet de rester professionnellement discret.
-Merci, Louis. Je te quitte. Mon cours de danse commence dans une heure. Je reviendrai si tu le souhaites.
— Et comment ! Je suis ravi. Tu représentes la femme de trente ans dans toute sa splendeur. Cest moi qui te remercie. Mais je serai à lheure à la salle.
Jarrive à la salle. Une affiche punaisée aux quatre coins,reporte les cours du jour et invite les abonnés à aller visiter la salle qui sera ouverte dans un mois et à faire la connaissance de la responsable.
-Ce nest pas toi, Sabine.
— Non.
Les hommes, jeunes et plus âgés de mon cours se croient invités et me saluent :
« A la semaine prochaine »
Sont-ils surpris de nentendre aucune réponse de ma part. Jentends un:
— Elle na pas lair contente aujourdhui. Il vaut mieux faire bleu.
La semaine prochaine ils seront élèves de Barbara. Je laisse à Bruno le plaisir de leur annoncer mon départ et mon remplacement par une fille qui a couché avec un certain nombre dentre eux. Avec un quart dheure de retard Louis ouvre la porte.
-Salut, Sabine. Où sont-ils tous ? Je peux partir si tu le souhaites. Mais loccasion est trop belle de profiter dun cours particulier avec toi. Ah ! Jai tiré quelques clichés. Veux-tu les voir ? Cest du 13 mais jagrandirai celles qui te plairont.
-Daccord, prenons cinq minutes.
Les deux premières sont flatteuses. La troisième me fait hurler:
-Louis, quest-ce que cest que ça ? Je nai pas posé nue et dans cette position. Cest obscène; tu es fou. Quoi, la suivante, cest pire. Il ny avait pas de type à poil, je nai pas sucé une verge aussi grosse. Quest-ce que ça signifie ?
— Ne temballe pas. Je me suis livré rapidement à des détournement, ce sont des montages pour rire. A lheure actuelle on peu faire tout ce quon veut avec un peu de technique. Je voulais mamuser à ten faire la démonstration.
-Cest du grand nimporte quoi. Tu es fêlé, il y a dautres façons de démontrer tes capacités techniques, tu aurais dû éviter ces sujets. Imagine que mon mari tombe sur cette photo où je suis assise sur un homme nu. Que va-t-il penser.
— Zut, je ny avais pas pensé. Je trouvais ça rigolo. Mais pourquoi Bruno verrait-il cette photo ? As-tu lintention de la lui montrer ? Certainement pas. Qui dautre pourrait la lui donner ou envoyer ? Moi seul ! Tu me connais mal.
— Bon, tu me soulages. Quelle idée saugrenue ! Enfin puisque tu tengages à rester honnête, je respire mieux.
A propos, jai lu quune autre assurera le cours de danse dans votre deuxième salle. Ce nest pas toi. Connais-tu ta concurrente ? Forcément. Ca ne te blesse pas, tu as refusé ?
-Oui, cest ça. Connais-tu Barbara ?
— Barbara ? Jen connais au moins trois. Il y en a une que je noublierai jamais : Barbara Dumont. Cest elle qui ma dépucelé le jour de mes dix-huit ans, ça fait un bail. Et ton mari lembauche. Montre-moi ton front : elles ne se voient pas encore, mais ne tarderont guère.
-Quoi?
-Tes cornes, pardi. La Barbara ! Tu te rends compte; ma pauvre : ce soir, si ce nest pas déjà fait, oui pas plus tard que ce soir, tu es cocue. Et tu tinquiètes pour ces malheureuses photos. Réfléchis un peu : pour te venger tu lui jettes celles-ci à la figure demain devant les deux classes réunies, tu lui montres quil a été cocu avant toi. Et vlan, il pourra se cacher.
— Louis, cesse de déconner. Tu veux me mettre la honte ! Non pas de ça ! Cest indigne de moi.
— Mais pas de moi. Ton mari est un porc, il va se rouler dans la soue avec cette truie et toi tu te contentes dêtre triste. Ce nest pas pensable. Je te vengerai, je placarderai ces photos et dautres sur la porte , tout le monde les verra, te plaindra et le blâmera.
— Arrête, tu dérailles ! Ce nest pas lui mais moi que tu vas traîner dans la boue. Jaimerais me venger, mais autrement. Je tinterdis dutiliser ces photos.
— A une condition. Ton mari est un salaud. Je renonce à exposer ces photos à la condition que tu lui fasses des cornes aujourdhui !
-Tu continues à débloquer. Comment veux-tu que je le trompe aujourdhui ? Avec qui donc ?
— Mais, rien nest plus facile : avec moi, ici et maintenant. Donne-moi la clé, je la ferme. Personne ne pourra nous gêner. Je te promets une belle vengeance, sans photo, mais dont tu te souviendras. Demain ton Bruno viendra à genoux te supplier de pardonner et fichera Barbara à la porte.
Suite de pot de colle
à suivre