A la maison, le week-end se passe bien mieux avec Christine. Parce que je m’en fous. Je me sens honteux, mais libéré. J’ai pris la décision d’éviter toute confrontation, toute dispute. Je fuis. Dès qu’il y a potentiellement une dispute en vue, je dis à Christine qu’elle a raison, de faire comme elle veut. Je remarque que mon attitude la déstabilise un peu et je me demande pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt. Peut-être parce qu’il n’y avait pas d’échappatoire à mon mal-être, je tournais en rond. Aussi affreux que cela puisse paraitre, Alina me permet de fuir ma grise réalité, de m’en extraire et de voir le soleil, au moins de temps en temps. Il y a cependant un problème à trouver un peu de soleil dans la grisaille : ce désir de revenir sous ses rayons chauds, doux et agréables, sans s’y brûler.
Le lundi 24 décembre 2018, nous ne sommes que deux au bureau, Mélissa et moi. Et il n’y a vraiment pas beaucoup de monde non plus dans les autres bureaux dans la boite. J’arrive tôt et Mélissa suit une demi-heure plus tard. Son entrée me surprend à deux égard : par son grand sourire en passant la porte et par sa tenue. Pour la première fois depuis qu’elle est arrivée dans l’entreprise, Mélissa a remplacé son classique combo sombre pullover-jupe longue sur lequel nous plaisantions quotidiennement, pour une jupe noire plus courte et un top rouge vif ! Cintré et décolleté, assorti à son rouge à lèvres, ce haut me laisse bouche bée. Deux semaines après son arrivée, je découvre ses belles jambes et la forme de sa poitrine. Puis je me rends compte d’un autre détail : Mélissa a accepté de venir travailler un lundi alors qu’elle travaille habituellement du mercredi au vendredi. Je peine à me souvenir si elle a annoncé sa venue avant ou après avoir su que je serai seul ce jour-là. Je n’ose pas me faire des films. Je lui dis simplement que ça me fait plaisir de la voir ainsi vêtue. Je ne récolte qu’un grognement et je m’y attendais. Elle prend sa place, allume son PC. J’ai déjà vidé les mails de notre boite commune et je doute qu’il y en ait beaucoup d’autres durant la journée. J’ai pris des croissants. Je vais chercher deux cafés et nous nous installons à son bureau pour ce petit-déjeuner improvisé. Elle me regarde bizarrement.
— J’ai pensé que ça serait sympa un croissant pour commencer la journée.
— Oui, c’est bien.
Je regarde ses jambes en souriant.
— Tu es super féminine ainsi vêtue.
— Merci.
Un blanc. Mélissa ne dit rien. Je fais mine de m’intéresser à elle.
— Que faisais-tu avant de venir chez nous ?
— Je travaillais dans une fiduciaire.
— Ah bon ? Tu y faisais quoi ?
— De l’administratif.
— Et avant ?
— Rien.
Dur. Je change d’option.
— Et tu habites dans quel coin de la ville ?
— A une demi-heure en bus.
— Tu vis là-bas depuis longtemps ?
— Quatorze ans.
Je fronce les sourcils car cela me semble beaucoup. Elle comprend et précise :
— J’ai 29 ans, j’ai emménagé à 15 ans chez mon mec parce que mes parents me faisaient chier.
Je vais parler mais elle anticipe et me coupe :
— Puisque tu veux tout savoir, après quatorze ans de relation, ce connard vient de me plaquer pour une gamine de 18 ans. Mais je peux te dire qu’il m’a laissé l’appart’ !
— Je suis désolé.
— Tu n’as pas à l’être. C’était un connard et c’est mieux comme ça.
Fin de la discussion. Mélissa se tourne face à son écran. Je vais finir mon croissant et mon café devant le mien.
Nous n’échangeons pas un mot et vers 10h, alors que je reviens à ma place, je vois que j’ai reçu quelque chose via la messagerie interne. Cela vient de Mélissa qui est dix mètres devant moi :
"Excuse-moi pour ma réaction ce matin, je suis à fleur sur le sujet."
"Aucun problème, j’ai la peau dure"
"Et merci de t’être intéressé à moi"
"Ça te dit d’aller manger un truc à midi?"
"Si tu es prêt à me supporter, ok"
A midi, comme le soleil fait une timide apparition et que les restaurants sont fermés, nous allons acheter deux sandwiches au supermarché et partons nous balader à la campagne. Mélissa n’est vraiment pas diserte et je fais souvent la conversation tout seul en posant des questions pour des réponses souvent courtes et fermées. J’essaye de la pousser un peu.
— Tu mesures combien ?
— 1m78.
— Même avec tes talons, je reste plus grand alors.
— Je vois ça.
— Combien les talons ?
— 10 cm. Ils sont neufs, je ne les portais pas avec mon ex, car il était alors plus petit.
Retour au mutisme.
Si nous discutons peu, au moins, nous prenons l’air. Néanmoins, alors que nous revenons vers la voiture, je décide de la prendre par les sentiments :
— Puis-je te dire une nouvelle fois que je te trouve très élégante aujourd’hui ?
— Oui.
— La couleur te va tellement mieux que le noir et le gris, qui plus est, quand elle est assortie à tes lèvres.
Elle sourit timidement.
— Le rouge, c’est pour Noël.
Je ris avec hésitation. Elle sourit plus largement. Ok, c’est une blague et nous rions tous les deux. J’en profite :
— Je n’avais jamais remarqué que le Père Noël avait de si jolies jambes.
Elle sourit encore.
— Mélissa, l’élégance de ta tenue fait ressortir ta beauté.
Elle ne sourit plus.
— Bon, c’est bon, lâche-moi avec ça, ok ?
Retour sans un mot au travail. L’après-midi est studieux et nous terminons une heure plus tôt que d’habitude. Au moment de partir, je propose à Mélissa de la raccompagner. Un mot pour accepter. Aucun autre dans la voiture. Du moins, jusqu’en bas de chez elle. Et là
— Je sais que je suis un peu "space", bizarre et ça peut déstabiliser. Mais c’est mon caractère quand je ne connais pas les gens. Après, ça va un peu mieux. Merci pour cette journée, Florent. Ça m’a fait plaisir de la passer avec toi.
Elle rit franchement et ajoute :
— Merci pour midi, j’ai adoré cette balade et merci de m’avoir raccompagnée, t’es chou. Joyeux Noël à toi et à ta famille.
Elle me fait la bise et sort. Je n’ai rien eu le temps de dire. Par contre, elle a aligné presque autant de mots en trente secondes que lors des dix derniers jours !