Benjamin dune tribu de garçons, toujours à laise parmi mes semblables, sportif, jai pratiqué de lathlétisme de bon niveau sans toutefois battre les records nationaux du cent mètres ou du saut en hauteur, mes disciplines préférées. Au lycée jai intégré léquipe dathlétisme masculine. Jai continué à évoluer essentiellement en milieu masculin. Au moment du passage en seconde une vilaine attaque dacné juvénile a éloigné de moi la plupart des belles filles de ma classe. Les autres gars avaient des copines. Je me tenais généralement à lécart. Si on me demande comment étaient mes relations avec la gent féminine, je ne peux même pas dire quelles étaient timides, elles nexistaient pas. Faute de grives on mange des merles, fautes de copines je fréquentais des copains. Nous passions dexcellents moments ensemble. Pendant mon service militaire, lacné passée à dautres visages, ma face délivrée de ses boutons, quelques demoiselles se retournèrent sur moi. Mais on ne change pas ses habitudes, après avoir été ignoré je restai dune timidité quasi maladive.
Au cours dune permission, toujours entouré damis, je nage dans le bassin olympique. Je parcours des longueurs en alternant les quatre nages. En plein milieu du bassin je heurte un corps qui nage sous la surface en perpendiculaire aux lignes. Je marrête, lautre nageur remonte. Une nageuse au visage dange me fait face et déclare :
— Tu ne pourrais pas faire attention ? Aide-moi à sortir, maladroit.
Elle distribue linsulte et le sourire simultanément, fait la planche et ordonne
-Tire moi vers léchelle, allez ou je me noie.
Jamais fille ne ma donné dordre de cette nature, jamais je nai vu sourire aussi charmant. Un maître nageur nous observe, prêt à plonger. Je lui fais signe, il saute, nous rejoint.
— Excusez-moi, mademoiselle, vous serez mieux entre les mains dun professionnel
— Mufle !
Ca cest pour moi.
Pour le dévoué sauveteur ce sera la déception :
-Merci, ça ira, je peux sortir seule.
Je la vois séloigner. Cette nana exagère, elle fait nimporte quoi, provoque un accident, me donne des ordres, refuse au maître nageur laide quelle exigeait de moi. Sa blondeur et ses yeux bleus nexcusent pas son comportement.
— Alors, tu accroches les filles dans leau ? Tu fais des progrès, enfin tu te dégourdis.
Louis et Jacques au passage dans dautres lignes deau se moquent de moi et augmentent ma confusion. Ils aiment me charrier au sujet des filles et mappellent avec un peu dironie amicale : « le moine ». Leurs succès féminins les enorgueillissent et ils aimeraient me voir prendre part à leurs plans : ils ont à plusieurs reprises proposé de me mettre en relations avec certaines de leurs copines disposées à minitier aux gestes de lamour. Je suis idéaliste, je ferai lamour avec la fille que jaimerai. Ma conception me vaut des plaisanteries fréquentes. Les filles qui se croient investies de la mission dinitier les garçons et qui papillonnent de lun à lautre ne mattirent guère. Les copains me disent :
— Berthe est douce. Elle te montrera tout ce quun garçon doit savoir pour plaire à une fille. Fonce, cela ne tengage à rien. Elle est fiancée, se mariera dans six mois. Pour linstant elle profite au maximum de ses derniers jours de célibataire. Quattends-tu, tu as une opportunité !
— Vous blaguez ? Que dit son fiancé ?
— Il fait comme elle et les filles libérées savent à quoi sen tenir. Elles se donnent à lui mais veulent conserver leur liberté. Tu retardes dun siècle avec tes idées désuètes sur le mariage, à propos de la fidélité, du couple uni pour la vie. Profite de ta jeunesse, après tu auras la corde au cou.
Je reprends mon crawl pour oublier. Mais comment oublier ? Combien de bassins devrai-je parcourir pour perdre la quille poussée sous mon ventre lors de ce corps à corps inattendu et pendant lalgarade avec cette poupée Barbie ? Jai frôlé tout son corps, nous avons passé quelques secondes ventre à ventre, jambes emmêlées sous la surface. Habituellement dans leau, cest pavillon bas. Que marrive-t-il ? Je nage pour oublier mais surtout pour retrouver mon sang froid. Simplement, sur le bord de la piscine, une blonde aux yeux bleus fait des longueurs à pied avec lintention arrêtée de se trouver en haut de léchelle à lextrémité où je voudrai sortir de leau. Cette fille va mattendre dans son maillot deux pièces, un haut minuscule et débordant de chair laiteuse et un bas à ras de la touffe, avec cette nuance que la touffe est rasée jusquà un demi centimètre du pli supérieur de sa fente, une sorte de cache si peu. Vu leffet quelle ma produit lors de notre collision dans leau, jai tout à redouter dune sortie par lune des échelles si en montant je me retrouve à la hauteur du maillot-confetti sensé protéger sa vertu. Elle me barrera la route, mobligera à voir au plus près son intimité indiscrètement révélée par la transparence de son maillot blanc trempé. En allumeuse professionnelle elle samusera de ma confusion.
Louis sexcite:
— Attaque au lieu de fuir. Elle ne te lâchera pas. Tu te fatigueras avant elle. Tu lui as tapé dans lil !
-Non, dans le ventre. Je ne lai pas fait exprès.
Jacques pouffe de rire.
— Ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Va texcuser et offre lui un massage de la blessure.
— Elle na pas de blessure, on sest heurté, je nai pas vu de sang.
— Cest une blessure damour propre. Elle enrage de devoir tattendre.
Je réclame un service :
— Vous deux allez la bloquer à un bout et je sortirai à lautre.
Ils sortent enfin et sarrangent pour faire barrage. Le contact les émoustille, ils sont maladroits à lextrême, basculent à leau et entraînent la diablesse dans une gerbe de gouttelettes. Je cours à ma cabine, me sèche, me rhabille en vitesse. Je sors du vestiaire : elle est à la porte, vêtue dune robe éponge jaune dont létroitesse dessine ses formes gracieuses, mouillée au niveau de la poitrine et du bassin. Elle a été plus rapide que moi !
— Jean où cours-tu ? Ne me reconnais-tu pas ? Je suis Catherine ! Tu ne te souviens pas ?
Mon seul souvenir dune Catherine est celui dun vilain laideron qui même contre moi aurait gagné un concours de lacné la plus prononcée. Cette belle jeune fille, non, ce nest pas possible.
— Catherine ? Catherine Lachaume ? En seconde, ma voisine de table au labo ?
— Mais oui. Le vilain petit canard
— Sest transformé en un magnifique cygne.
Je métonne de trouver aussi facilement une répartie aimable. En ce temps là je la traitais comme les autres me traitaient, par lindifférence.
— Oh ! Merci Jean. Tu marches un peu avec moi ? Je tai tout de suite reconnu à la piscine. Pardonne-moi de tavoir volontairement abordé comme un bateau pirate. Je voulais que tu me remarques.
— Volontairement ? Tu fais ça ! Ton copain ne va pas être content.
— Aujourdhui mon copain cest toi. Si tu veux bien. Que deviens-tu ? Je sais, tu fais ton service militaire. De loin je me suis toujours intéressée à toi.
— Ah ! Jignorais.
-Tu étais distant, mais jétais amoureuse de toi. Ma copine Amélie se moquait et disait :
— A vous deux vous pourriez ouvrir une mercerie.
— Je ne saisis pas
— Nos boutons ! Ce nétait pas drôle ! Mais tu es guéri. Moi aussi, regarde !
— Et de tes boutons est née une rose splendide.
La surprise me rend étrange, je débite des fadaises. Cette beauté me fait tourner la tête.
De banalité en banalité, elle prend ma main, balance nos bras, penche vers moi sa tête parfumée au sortir de leau chlorée dun parfum doux mais frais. Elle lève les yeux à la recherche des miens, baise ma main, murmure un timide, tout timide, tout premier « Je taime ». Je nen crois pas mes oreilles. Est-ce possible ? Un cur bat pour moi ? Je dois rêver, cest le fruit dune longue frustration.
— Tes copains te suivent toujours ? Ils sont collants !
— Nous sortons généralement ensemble. Dès que tu me quitteras, ils accourront.
— Ils vont devoir attendre, je te tiens, je ne te lâche pas.
Aïe ! Catherine est bien jolie, mais naurait-elle pas un grain de folie.
— Tu te conduis comme ça avec tous les gars ?
— Cest la première fois. Excuse-moi. Jattends cette rencontre depuis si longtemps, tu ne téchapperas pas. Je veux rester près de toi. Ca te dérange ? Sois sincère, dis-moi de men aller si ma présence te déplaît.
Je marrête et me tourne vers elle. Cest si bon de lire dans les yeux de quelquun de lespoir, de lamour. Je vois aussi dans les yeux de Catherine une ombre de crainte, due à la peur dêtre rejetée.
— Mais non; je me sens bien avec toi. Je suis surpris de ton intérêt, je ne mattendais pas à entendre ces mots aujourdhui. Tu es belle, tu es très aimable, attirante; vois trembler mes mains. Reste avec moi et faisons mieux connaissance.
De la main je fais signe à Jacques et Louis. Ils tournent les talons. Catherine essuie une larme de joie, retrouve son sourire enchanteur. Elle se lance courageusement
— Jean, puis-je tembrasser ?
— Cela me ferait plaisir.
Son visage sépanouit, elle savance, tend ses lèvres, les pose vite sur mes joues, de chaque côté, prend du recul et me regarde. Elle est toute rouge. Ces deux bisous sont pour elle le comble de laudace ? Il nest pas nécessaire dêtre grand clerc pour savoir que les gens qui saiment procèdent de façon moins prude. Elle étudie ma réaction, semble attendre mieux sans oser. Lendroit est calme. Nous sommes seuls. Personne ne verra si je me ramasse un râteau. Un râteau, la honte, la crainte aussi de léchec et du ridicule qui me paralyse en présence des filles. Je prends mon courage à deux mains. Je tends les bras, je saisis ses épaules, nos regards se croisent, nos visages se rapprochent et jose. Jeffleure ses lèvres dun baiser. Elle abat une main sur ma nuque et me rend mon baiser. A tour de rôle nous répétons les mêmes attaques rapides, nous nous en amusons à nous bécoter. Les contacts ralentissent, salourdissent, nos lèvres se décollent lorsquelles rencontrent les autres, quatre lèvres restent unies plus longuement, se happent, luttent, se libèrent pour mieux se saisir à nouveau dans la seconde suivante. Nous nous étonnons de la découverte du baiser et des sensations multiples quil engendre. Cest bon, cest merveilleux, cela ne devrait plus avoir de fin. Les yeux sont humides, les lèvres sirritent contre les dents, les langues se livrent un duel insolite mais captivant. Il y a révolution dans mon slip. Une main qui passe par là, marque un arrêt.
— Oh ! Tu es ému ? Murmure la coquine.
— Excuse-moi, c est involontaire et incontrôlable. Toi tu ne ressens rien ?
La main curieuse quitte ma bosse, saisit une de mes mains, la fait passer sous le tissu éponge de la robe jaune, tire vers le bas sur la ceinture élastique du maillot de bain encore humide :
— Tu me crois insensible ? Touche mon abricot. Ne recule pas, ça ne brûle pas, ça ne mord pas, mais passe ta main à plat, caresse mon minou : que constates-tu ?
— Tu es mouillée.
— Appuie avec ton majeur, déplace-le. Alors ?
— Au milieu cest inondé.
-Pose ta main ici maintenant.
Par léchancrure du col de la robe, guidée par Catherine ma main enveloppe un sein et dans la paume un bouton dur sépanouit.
— Voilà les signes apparents qui sajoutent à mes rougissements quand je ressens une forte émotion. Nos baisers me troublent comme toi. Nous connaissons une mutuelle attirance, jen suis heureuse. Tu es le premier homme à avoir touché mes points sensibles. Tai-je choqué ?
Faut-il toujours être sincère ? Lattaque a été rapide, osée, violente. Je ne prends pas de risque :
— Choqué ? Disons surpris. Je navais jamais touché lintimité dune fille. Merci de ta confiance. Je rêve de recommencer.
— Si tu es sage, on verra. Tourne-toi. Je dois retirer mon soutien-gorge et mon maillot. Jai du linge sec dans mon sac.
Nest-il pas stupéfiant davoir touché et de sentendre interdire de voir !
— Cest fini. Tu peux te retourner. Encore un baiser ?
Inutile de me supplier. Nous nous enlaçons. Bouches unies, nous laissons libre cours à nos mains, nous nous apprivoisons.
Le temps se couvre. Un orage menace.
— Si nous allions au cinéma ? Nous serions ensemble à labri.
Comment résister à lenvie de rester encore avec elle ? Elle se retourne constamment et déclare :
— Ils sont revenus
— Qui ?
— Tes copains nous suivent. Nous allons les semer si tu veux. Daccord ?
— Comme tu voudras.
Passé langle du cinéma, Catherine se met à courir, oublie la porte dentrée, va se cacher derrière langle suivant, épie les mouvements près de lentrée.
— Bon, ils vont nous chercher dans la salle. Suis-moi, ma voiture est sur le parking de la piscine. Courons !
Elle fait de moi ce quelle veut. Elle court, je suis. La voiture démarre. Catherine conduit, elle parle aussi :
— Jean, il faut que je te fasse un aveu. Je tai déclaré que je taimais et cest vrai. J ai reconnu avoir provoqué volontairement le choc dans leau et cest vrai. Je tai embrassé avec infiniment de plaisir. Jai été allumeuse et jai osé des gestes impudiques pour témouvoir, jen suis gênée. Ne crois pas que ce soit ma conduite habituelle.
— Tu mas fortement troublé. Mais finalement ta spontanéité me plaît si jen suis le bénéficiaire. Je pardonne volontiers un comportement excessif fort bien venu pour me sortir de ma timidité.
— Pardonneras-tu aussi la suite ? Lorsque je suis arrivée à la piscine, Jacques et Louis me sont tombés dessus. Immédiatement ils mont parlé de toi, tont dépeint comme introverti et asexué, et mont confié la mission de te séduire, de moffrir à toi et si possible de coucher avec toi dans les meilleurs délais. Une de leurs copines leur avait confié que javais le béguin pour toi. Il était temps de touvrir aux jeux et plaisirs de lamour. Pour qui me prennent-ils ? Contre ce service ils maccepteraient dans le cercle de leurs amies et amis privilégiés.
— Autrement dit, tout nest que jeu comédie et tromperie. Arrête-toi et laisse-moi descendre.
— Si je nétais pas vraiment amoureuse de toi, me serais-je compromise ? Jai accepté cette mission parce quils me promettaient de maider à te rencontrer. Peu mimporte le cercle de leurs relations. Avant de te déposer je veux éclairer la situation. Leur surveillance a commencé à me peser. Leur contrôle sur nos faits et gestes devenait pénible et je crains de les voir fouiner jusque dans enfin partout afin de vérifier si je tai déniaisé. Dans la fuite, je viens de rompre le contrat. Jabandonne leur mission. Je men fixe une bien plus importante : te faire savoir que je taime, que mon amour pour toi ne doit rien à leur complot. Maintenant il pleut trop fort, lorage gronde, je marrête sur cet emplacement. Tu peux descendre si le cur ten dit. Jaimerais que tu restes et que nous repartions à zéro, du bon pied. Il y a dautres cinémas dans la ville. Oui, tu restes ? Je taime.