Chapitre 2 : Naïade
Deux semaines se sont passées depuis l’incident et ni moi ni Gaëlle n’avons échangé le moindre mot, du moins sur cette affaire, uniquement les banalités d’usage tout au plus. La tension est palpable. Chaque fois que nos regards se croisent, chacun détourne la tête instantanément, avec, je le sens bien, une certaine dose de honte. Je ne sais comment désamorcer la situation.
De mon côté, je vais au travail comme s’il s’agissait d’une libération. Ne plus être confronté au mur de glace qui s’est formé entre ma fille et moi. Mais une fois dans mon bureau, je ne fais que ruminer cette histoire, qui envahit constamment mes pensées. J’ai appris que du sien, Gaëlle s’est quelque peu renfermée et que ses notes en pâtissent. Elle n’arpente plus les couloirs de son lycée avec son aplomb caractéristique et évite même ses amis. Les turpitudes de la vie d’une jeune adulte de dix-huit ans sont déjà assez bien difficiles qu’il fallût que j’en rajoute.
Je ne pourrai m’échapper éternellement. La vie, cruelle opportuniste, me le rappelle au moment propice. Aujourd’hui pas de réunion de bureaux, pas de lycée. C’est le premier jour des vacances de printemps. Il y a de cela quelques mois, Gaëlle et moi avions décidé de les passer à la campagne, chez un ami qui me loue sa maison, loin de tout et de tout le monde. Nous avions ce petit rituel, celui de nous retrouver seuls quelques jours, au moins une fois par an, afin de décompresser et de se couper de tout tracas du quotidien. Pour la première fois, je n’en avais aucune envie.
Dans la voiture, seule la musique de l’autoradio couvre le silence de plomb qui s’installe rapidement après avoir pris place. Gaëlle, habillée d’une petite et légère robe blanche à fleurs, est assise à côté de moi sur le siège passager. Elle contemple d’un regard vague le paysage qui défile. Pour ma part, je me décide à me concentrer sur la route et rien d’autre, ce qui est profondément difficile. Chaque fois que ma main agrippe le levier de vitesses, je me remémore avec angoisse la scène de la salle de bains. Une étrange pulsion naît dans mes intestins. Cette envie d’effleurer subrepticement ses jambes nues, du bout de mes doigts. Cette envie de sentir, juste pour une fraction de seconde, le grain de sa peau de pêche, la chaleur suave de ses cuisses laiteuses. Ma gorge se sert chaque fois plus. Cette odieuse torture ne prend fin qu’au bout de trois heures de route.
À peine arrivée dans la courette, Gaëlle ouvre la portière et saute en dehors de la voiture, se précipitant vers le parapet du petit pont à l’entrée de la propriété. La maison que me loue mon ami est un modeste moulin réaménagé, au bord d’une petite rivière peu profonde, ni turbide ni agitée, ce qui permet de s’y baigner en toute quiétude. À peine ai-je le temps de commencer à décharger les quelques valises du coffre que ma fille a déjà attrapé la sienne, m’arrachant les clefs des mains au passage. Je la vois disparaître à l’intérieur du logis. Elle va sûrement s’installer dans la chambre nord, à l’étage, celle qui donne sur le jardin derrière la propriété. J’aurais celle qui donne sur la cour.
Il fait un peu frais en cette saison pour aller s’immerger. Mais cela ne décourage en rien Gaëlle, qui, après avoir défait sa valise, se précipite en maillot, serviette à la main, vers l’eau vive. Il se fait tard et je reste dans la cuisine, commençant à préparer le repas pour ce soir. De la fenêtre, je peux apercevoir mon trésor barboter, comme quand elle était gamine. Mais elle a bien grandi depuis. Elle est là, dans son maillot une pièce bleu marine, à moitié immergée dans l’eau claire. Mon regard ne peut se détacher d’elle, magnifique ondine évoluant gracieusement dans le torrent. Tous ces gestes sont d’une telle volupté, d’une touchante grâce. Je ne sors de ma torpeur qu’au moment où ma fille décide de rentrer se réchauffer près de la cheminée, dans le séjour.
Après le repas, fatigué de la route, je décide d’aller me coucher. Gaëlle, vêtue d’une simple tunique et affalée dans un des fauteuils, a le nez plongé dans un livre. Je laisse ma fille à sa lecture au coin du feu, lâchant juste un soupir, de consternation probablement, de frustration, sûrement. C’est la tête bien calée dans mon oreiller, pris dans un demi-sommeil, que me reviennent les images du corps de mon enfant, nue, sous la douche, puis dans cette rivière. Je me mets à voir sa svelte stature, ses formes graciles de jeune adulte, son pubis lisse, sa gorge orgueilleuse sur laquelle venait glisser l’eau fraîche. Je me sens alors comme enivré par les interdites scènes. Plus j’y pense et plus je m’en veux. Mais je ne peux le contrôler. Que nenni, il me faut être honnête avec moi-même : depuis l’incident, je ne veux surtout plus le contrôler, ce désir ardent qui brûle en moi. Le bruissement des marches dans l’escalier, Gaëlle gagnant sa chambre, me remet les idées en place. Il faut que je dorme.
Impossible. Un deuxième grincement se fait entendre. Quelqu’un descend. Ma fille a oublié quelque chose en bas, son livre probablement. J’ois un léger couinement : des gonds mal huilés. C’est la porte d’entrée qui s’ouvre. La nuit, je la vois par la fenêtre, est sans nuages. La lune et les étoiles brillent sur la voûte céleste, une vision point dérangée par la pollution lumineuse de la ville. Gaëlle est sortie prendre un peu l’air. Une pensée étrange me traverse, une irrésistible envie de l’épier, de capter, ne serait-ce que quelques secondes, son image. Je résiste un court moment. Je me dis qu’il faut que j’arrête d’être si peu correct envers la chair de ma chair. En vain. Je me lève doucement, écarte un peu plus les rideaux.
Elle est là, assise sur une des pierres servant de sièges dans la cour. Elle regarde le firmament. Les rayons sélénites donnent à son teint une étrange clarté et se reflètent dans ses longs cheveux cuivrés. Elle est d’une beauté diaphane, avec un brin de mélancolie dans l’expression de son visage. Après quelques minutes, elle se lève en direction du cours d’eau. Un regard à droite, un regard à gauche et voilà qu’elle fait glisser sa tunique le long de son corps élancé. Mon sang bouillonne. Je me fige. Je peux voir son dos, magnifique, ses douces fesses, ses jambes oniriques. Elle se fait un chignon et entre petit à petit dans l’eau. Cette vision idyllique, qui va durer plusieurs minutes, m’est donnée comme un cadeau des dieux.
Tout en continuant à regarder cette ondine barboter, je rapproche une chaise de la fenêtre d’où j’ai une vue imprenable sur la scène que mon ange m’offre à son insu. Je m’assieds afin de profiter plus agréablement du spectacle, la verge fièrement tendue à la main. Mon trésor se laisse emporter par le courant, fait quelques mouvements, imprime à l’eau les ondulations de ces caprices. Je fais de même avec mon membre. Elle ramasse quelques pierres au fond du lit de la rivière, les examine en les portant au ciel au-dessus de sa tête, me donnant ainsi à admirer ses minces bras, ses aisselles, ses seins tendus. Tout en elle sonne comme une provocante nymphe tentant d’attirer son amant à quelques jeux mortels. Et moi, faible humain, je me laisse happer par cette enchanteresse.
Après quelques allers-retours d’une berge à l’autre, elle sort de l’eau et s’allonge dans l’herbe, le corps encore trempé de son escapade. Je reste là, à la vitre, une main sur mon gland gorgé de désir. Gaëlle risque d’attraper froid, et dans d’autres circonstances, je me serais précipité avec une serviette ou une couverture. Le dois-je, quitte à révéler mes actes pervers ? La question trouve brusquement une réponse inattendue. Ma fille vient tout juste de trouver un autre moyen de se réchauffer. Ses mains parcourent dorénavant son corps, s’attardant sur ses tétons raidis par le froid mordant, et entre ses cuisses généreuses. La tête en arrière, elle laisse transparaître son plaisir. Je ne peux qu’imaginer les phalanges de ses doigts fluets, visitant sa caverne aux merveilles et son taquin gardien… Je redouble d’excitation alors qu’elle est en pleine extase, se donnant aux éléments.
Cela ne dure pourtant qu’un bref instant. Trente secondes plus tard, la voilà rentrée. J’entends les gonds crisser à nouveau et la serrure s’enclencher. La première marche grince, la deuxième aussi, puis une troisième et ainsi de suite. Pourtant, je ne l’entends pas rentrer dans sa chambre. Je suis prêt à jurer que Gaëlle est derrière ma porte. J’ai le cur qui bat à tout rompre. Doucement, sans un bruit, je me faufile vers mon lit et me glisse sous les couvertures, entièrement nu, ma virilité toujours active. Tout en essayant de percevoir quelque chose, j’attends. Mais la seule chose que je suis capable d’entendre, ce sont les battements de mes veines le long de mes tempes.
Et une respiration. Sans nul doute, ma fille attend derrière ma porte. La poignée tourne. Je ne sais plus si cela est réel ou le fruit de mon imagination galopante. Ai-je basculé dans le rêve depuis tout à l’heure ? Non. Gaëlle s’arrête sur le pas de la porte. Prétextant le froid et un cauchemar, elle me demande la permission, comme quand elle était encore petite, de dormir avec moi cette nuit. Je suis rouge de honte. Je suis nu comme un ver, le sexe en érection, et je viens pourtant, et trop rapidement peut-être, d’accéder à sa requête. Féline et vêtue de son unique tunique, encore fraîche de son évasion nocturne, elle se glisse sous les draps et se blottit contre moi.
Nos corps sont collés, son dos contre mon torse, mon phallus contre ses fesses. Mais elle ne dit rien. Je ressens le besoin de lui présenter des excuses, mais je me retiens. Que vient-elle vraiment faire ici tout d’abord ? Son cou est à quelques centimètres de ma bouche. Elle sent l’herbe fraîche, une odeur subtile et boisée de pétrichor. Je respire ce parfum à pleins poumons, je m’en enivre. Sans y penser, je pose une main sur sa hanche. Elle n’oppose aucune réaction, aucune résistance à mon geste. Sans changer de position, elle se cabre afin d’enlever sa tenue. Je n’en reviens pas. Gaëlle et moi, tous les deux nus dans le même lit. J’ai envie de lui dire à quel point elle est belle, merveilleuse et désirable, mais elle me fait signe de me taire. Nous restons alors là, sans bouger, sans dire un mot. Je ne me rappelle quand le sommeil est venu nous chercher, mais une chose est sur, je sais désormais que je me battrai pour conserver ce trésor…
"Sin-A-Moon"