J’ai la bouche pâteuse. Mon cerveau embrumé peine à comprendre ce qui se passe, mes yeux me renvoient des images que je ne comprends pas, et mes membres endoloris me semblent tellement lourds qu’ils ne me répondent pas. Mes oreilles bourdonnent, j’entends une voix, une femme téléphone, mais je ne comprends pas ce qu’elle dit. Oh ! Mon Dieu, que cela tourne ! Une main passe dans mes cheveux, une voix apaisante résonne. Je ne comprends pas ce qu’elle dit. Mais je me laisse aller et sombre de nouveau dans un sommeil profond.
Du temps est passé. Je ne sais pas combien exactement, mais je pense qu’on doit être le soir maintenant. J’ai les esprits un peu plus clairs et je peux donc constater que ma situation a quelque chose de plus inquiétant que ce que je craignais. Mes bras et mes jambes me semblent toujours lourds, mais…mais bien qu’ils me répondent, ils ne peuvent réellement bouger. Je suis attachée à un meuble; enfin non, une sorte de lit. Quoique…Je pense qu’il s’agit d’une table de gynécologie. Mes chevilles sont solidement attachées aux étriers par des sangles en cuir si j’en juge par le toucher. Il en est de même pour mes poignets. Je suis nue, je sens ma peau contre le latex de cette table. J’ai des frissons, c’est sans doute au froid que je les dois.
Ma bouche n’est pas engourdie; pas du tout. En réalité, j’ai un bâillon; enfin, tout un harnais sur le visage qui me maintient enfoncée dans la bouche, une balle en caoutchouc. Je me remue, mais il est parfaitement illusoire pour moi d’espérer me libérer d’un pareil dispositif. Mais qu’est-ce qu’il s’est passé? Je ne suis pas sûre… J’ai peur. Où est-ce que je suis ? Ma respiration devient haletante, je panique. Il faut que je sorte, je dois partir vite. Que me veut-on enfin ?
La pièce au centre de laquelle est vissée cette table de latex me semble être une sorte de sous-sol aménagé. Il y a apparemment tout un équipement médical posé sur de petites étagères montées sur roulettes aligné sagement contre le mur de droite. A côté de moi se trouve un tabouret sur roue, et la pièce entière est recouverte de bâche blanche, la lumière elle-même est blanche. On se croirait dans un bloc opératoire. Un bloc opératoire ? Oh non ! Surtout pas cela. Je suis sans doute entre les mains de trafiquants d’organes. Je me remue de plus en plus en imaginant un médecin fou et probablement alcoolisé me retirer mes poumons, m’arracher mes boyaux et mes viscères. Je force autant que je peux contre mes entraves, mais rien n’y fait. Soudain, je me fige. Des bruits de pas, quelqu’un est en train de descendre un escalier. Je n’ose même pas respirer alors que j’entends une paire de clés tourner dans la serrure. Mon sang ne fait qu’un tour.
Voilà ! Mon bourreau et k**nappeur ne va sans doute plus tarder. Je me demande ce qui se vend le plus cher, un poumon ou un rein.
La porte tourne sur ses gonds, mais ce n’est pas un médecin fou qui entre, armé d’une tronçonneuse, mais Madame Sylvie de l’Arc, équipée d’une paire de lunettes. Elle me sourit gentiment en se dirigeant vers moi avant de s’asseoir sur le tabouret à mes côtés.
Toutes mes excuses pour les effets secondaires soporifiques, c’était la première fois que je l’utilisais et j’ai dû avoir la main un peu lourde. Heureusement, on m’a confirmé que mis à part une légère migraine, qui devrait disparaître dans la nuit, tu ne risques plus rien.
Je suis abasourdie…Non seulement parce qu’elle vient de reconnaître qu’elle m’a droguée quand même. Mais surtout, parce qu’elle l’a fait avec une voix presque enjouée…Elle a conscience qu’elle vient de me k**napper, de me droguer; et que là, elle me séquestre. Non, parce que, soyons clairs, là c’est la perpétuité qu’elle risque…En fait, à choisir, j’aurais préféré me retrouver face au médecin tronçonneuse, cela aurait été moins déroutant.
Face à mes yeux ronds complètement hallucinés, elle comprend.
Ha oui, je me doute bien que pour toi la situation doit être un peu perturbante. Mais crois-moi, il n’y a absolument aucune raison de t’angoisser. Non, en réalité, la seule chose que tu as à faire dorénavant, c’est accepter. Accepter que ta vie aille être chamboulée à jamais, qu’il n’y ait aucun retour en arrière possible, et que désormais, ton unique pouvoir réside dans l’acceptation de ta nouvelle condition. Ha ! Si j’en juge par ton regard, mon explication ne suffit pas à te convaincre. Elle a un petit rire en voyant mes yeux à l’intérieur desquels règne toujours une grande confusion. C’est bien, tu as un regard expressif. Et j’aime beaucoup la couleur noisette.
Je reste interdit. Je ne comprends rien à rien. Vu la situation, je sais que je dois avoir peur d’elle. Et j’ai peur d’elle. Elle m’annonce que je suis désormais impuissante avec un calme olympien, comme si tout était parfaitement normal. Oui, je pense qu’on peut le dire: elle me terrifie.
Je sais que tu dois avoir mille questions. Mais crois-moi, pour l’instant, je pense qu’il t’est plus utile d’apprendre le silence. Aussi, je vais te faire gagner un peu de temps. Qui êtes-vous ? Eh bien, comme tu peux le deviner, Sylvie De l’Arc n’est pas mon vrai prénom, juste un pseudonyme. Je pense que le plus simple c’est que tu ne m’appelles que Maîtresse. Qu’est-ce qui s’est passé? Là, c’est déjà plus intéressant surtout qu’il m’aura fallu presque un mois pour t’appâter, te laisser approcher, et enfin te ferrer. Pour la faire simple, cette offre d’emploi était bidon, mais c’était du bidon assez crédible pour que tu te fasses prendre. Et tu vois, je ne suis pas du genre à me jeter des fleurs, mais j’avoue que je me suis donnée à fond; créer un faux site web, créer plusieurs adresses mail "d’employés" de la compagnie, engager un acteur pour faire le réceptionniste quand tu as appelé, etc. Puis, tout à l’heure, quand tu étais chez toi, deux trois gouttes dans ton verre, et hop ! Le tour était joué. En plus, tu as bien attendu d’être dans ma voiture pour t’endormir, c’était un super timing. Et à présent, le très classique: pourquoi faites-vous ça ? He bien, j’avais besoin que tu quittes un peu ta ville, t’es clairement du genre solitaire, mais bon, un voisin qui s’inquiète ou un habitué de je ne sais quel bar qui ne te voit plus, et hop ! La police aurait pu se saisir de l’enquête. Mais là, non, dommage pour toi.
Alors qu’elle monologue et une de ses mains s’est posée sur mon genou et ses doigts se promènent à présent librement sur ma peau. Marquant une pause dans son discours, elle se lève et reporte toute son attention sur mon épaule gauche.
Tiens tiens… Alors, ça, je ne l’avais pas remarquée. Je t’observe depuis un moment pourtant. Mais bon, j’étais bien trop loin pour voir ça. Elle te fait mal cette cicatrice ?
Ah oui ! C’est vrai que j’ai une épaisse cicatrice au niveau de l’épaule gauche.
Allô ! Tu m’écoutes ?
Elle pose un doigt sur ma cicatrice.
Je te demande si elle te fait mal.
Je fais non de la tête.
Tant mieux. Est-ce que tu en as d’autres ?
Je hoche la tête pour lui dire oui.
Bon, je vais t’enlever ton bâillon. Juste pour être claire, tu m’indiques par le minimum de mot l’endroit où se trouve ton autre cicatrice, puis tu ajoutes un "Maîtresse" et c’est tout. En dehors de ça, je ne veux rien entendre. Est-ce que c’est clair ?
Je hoche de nouveau la tête. Elle défait précautionneusement le harnais, au grand soulagement de ma mâchoire entière. J’ai l’impression d’avoir la langue enflée.
Alors, elle est où cette autre cicatrice ?
Intérieur de la cuisse droite Maîtresse.
Ma désormais Maîtresse constate l’étendue de cette seconde cicatrice moins large, mais nettement plus longue avant de s’exclamer en sifflant
Hé bien. Tu ne t’es pas ratée. C’est dommage d’abîmer une si jolie peau. Est-ce que tu as une crème à mettre dessus ? Réponds par oui ou par non, mais n’oublie pas le "Maîtresse" ! Toutes tes phrases devront se finir ainsi dorénavant.
Non Maîtresse.
Parfait. Tu as été obéissante, je ne te remettrais donc pas le bâillon. Néanmoins, il est tard, et contrairement à toi, je n’ai pas passé ma journée à dormir. Je vais me reposer, nous reprendrons demain.
Elle se lève du tabouret et se dirige vers la porte sous mon regard aussi suppliant qu’impuissant.
Bonne nuit ! me glisse-t-elle en un clin d’il avant de refermer la porte.
Les clés tournent dans la serrure, je l’entends remonter les escaliers. Me revoilà seule…