Ils habitaient à Nazareth. La vie n’était pas facile tous les jours. Joseph était toujours par monts et par vaux, courait les chantiers qui l’éloignaient de son foyer pour leur permettre de se maintenir à flot. Marie se retrouvait souvent seule, se sentait délaissée.
Un étranger venait d’arriver au village. Toutes les femmes de la communauté le badaient, écoutaient ses sermons béates d’admiration. Il était bel homme, en imposait, et Marie ne fut pas la dernière à tomber sous son charme. Cet homme, qui s’appelait Gabriel, était un imposteur, un aventurier sans scrupules qui avait beaucoup voyagé, traversé de nombreuses contrées. Il connaissait parfaitement la nature humaine, son discours était bien rodé. Il profitait de la crédulité des jeunes femmes inexpérimentées qu’il rencontrait, puis jetait son dévolu sur la plus séduisante, la plus vulnérable, la moins à même de lui résister.
Marie était ravissante, naïve, une proie idéale. Il était incapable de tenir le compte du nombre de jolies filles qu’il avait séduites, mais il éprouva tout de suite pour elle bien plus qu’une simple attirance sexuelle. D’elle émanait une pureté, une innocence qui le bouleversait. Il avait défloré de nombreuses pucelles, savait comment se comporter pour arriver à ses fins, mais Marie était différente. Elle gardait ses distances, semblait déterminée à conserver sa virginité.
Un jour, alors qu’il venait de prêcher devant une assemblée composée de femmes, l’une d’elles vint lui parler. Elle lui révéla que Marie était une femme mariée qui n’était plus une oie blanche. Cette mégère la dénigrait parce qu’elle était jalouse des attentions que Gabriel lui portait.
Il en fut intrigué, se demanda pour quelle raison Marie lui laisser entendre qu’elle était encore vierge, pourquoi elle accordait une telle importance à son hymen. Pour la première fois de sa vie, Gabriel faisait face à un dilemme. Il rêvait de la posséder, cette pensée l’obsédait, mais il ne voulait pas la blesser. L’idée de profiter d’elle avant de l’abandonner à son triste sort, l’humilier comme toutes les autres l’insupportait.
Il ne la brusqua pas, attendit patiemment qu’elle fasse le premier pas. Le jour où elle céda, l’invita chez elle pour lui faire partager son lit, il passa dans ses bras les plus belles heures de sa vie. Marie s’abandonna corps et âme, lui permit les audaces les plus déplacées, fit tout ce qu’il lui demandait. Ils restèrent enlacés, après, incapable de se séparer.
— Je ne comprends pas… Tu es mariée… Je croyais que c’était un genre que tu te donnais pour me plaire, mais tu étais vraiment vierge, Marie !
— Mon mari… Joseph… il n’est jamais là… Ces choses-là ne l’intéressent pas… Il ne me touche pas.
— Mais tu es sa femme, son devoir est de t’honorer !
— Il n’y arrive pas… Il dit qu’il me respecte trop pour ça…
Ils se retrouvèrent tous les soirs, en cachette, et faisaient l’amour. Ils étaient incapables de se rassasier l’un de l’autre, remettaient le couvert toute la nuit, se quittaient au petit matin épuisés et comblés. Elle n’était pas fière de sa conduite, s’en voulait de tromper son mari, mais le plaisir qu’elle éprouvait était plus fort que tout. Un beau jour, sans crier gare, son époux fut de retour.
Gabriel avait fait d’elle une femme coupable d’adultère qui risquait, par sa faute, la lapidation. Malgré les protestations, les sanglots de Marie, il décida de partir pour lui éviter d’avoir à affronter une situation impossible à gérer.
Les semaines passaient, rien n’y faisait ; elle lui manquait trop, il l’avait dans la peau. Trois mois plus tard, n’y tenant plus, il revint au village. Il la guetta, s’approcha d’elle sans se faire remarquer. Quand elle le vit elle blêmit, paniqua, lentraîna à l’écart, l’invita à la rejoindre chez elle à la nuit tombée en restant discret. Il acquiesça.
Quand il arriva, elle tomba dans ses bras, le serra sur sa poitrine en sanglotant.
– C’est affreux, Gabriel, c’est terrible… Je ne sais pas quoi faire…
— Qu’y a-t-il ma chérie ? C’est ton mari ?
— Non, ce n’est pas lui, il est reparti… J’ai fauté… J’ai mal agi et j’en paye le prix !
— Mais enfin, de quoi parles-tu ?
— Je suis enceinte… enceinte de toi… Je porte ton enfant !
Le visage de Gabriel s’illumina.
— C’est le signe que j’attendais. V avec moi, enfuyons-nous tous les deux. Je t’aime, Marie. Nous élèverons cet enfant ensemble.
— Je ne peux pas quitter Joseph… C’est un homme bon… C’est mon mari et je l’ai trahi…
— Alors tu n’as qu’à dire que ce bébé est le sien.
— Mais je te l’ai dit… Il ne m’a jamais touchée… Il saura tout de suite qu’il n’est pas de lui !
— C’est un homme très pieux, n’est-ce pas ?
— Il n’y a pas plus pieux que lui.
— Et tu m’as dit qu’il ne te touchait pas parce qu’il te respecte trop, c’est bien ça ?
— Oui, tu ne peux pas savoir à quel point il m’aime, il m’idéalise beaucoup trop.
— Ecoute-moi bien…
Marie l’écouta. Ce qu’il disait paraissait si extravaguant, si parfaitement dément qu’elle se demanda s’il avait toute sa tête. Quand il eut terminé, elle était affligée, le regarda les yeux écarquillés.
— Si j’ai bien compris, tu veux que je lui raconte qu’un ange m’a visitée et m’a révélé que j’allais porter le fils de Dieu ?
— C’est exactement ce que tu vas faire.
— Et cet ange m’a aussi assuré que j’allais procréer tout en restant vierge ?
— Ton mari t’aime à la folie et il est pieux, tu me l’as dit… Si tu es suffisamment convaincante, il te croira.
— Joseph m’adore mais il n’est pas idiot… Et même s’il était assez stupide pour me croire, personne d’autre ne goberait une histoire pareille.
— Je sais de quoi je parle, fais-moi confiance. Plus le mensonge est gros, plus les gens l’acceptent comme une vérité.
— Ça ne marchera jamais…
Ils ne se revirent que trente-trois ans plus tard. Marie venait d’assister, impuissante, à la Passion de son fils, quand un vieil homme voûté s’approcha d’elle.
— C’est toi, Gabriel ? Où étais-tu passé pendant toutes ces années ?
— Je suis désolé, Marie, vraiment désolé…
— Tu te rends compte de ce que nous avons fait ?
— Je ne pensais pas que ça prendrait de telles proportions.
— Je n’ai jamais osé lui dire la vérité… Il aurait été dévasté, ne s’en serait jamais remis.
— Quelle vérité, Marie ? La notre est-elle plus importante que la sienne, vu ce qu’il a accompli ?
— Notre fils a cru toute sa vie qu’il était le fils de Dieu…Il a voué son existence à une cause qui reposait sur un mensonge. Comment pourrais-je me le pardonner ?
— Pleure ton fils ma tendre, ma jolie Marie… Notre secret disparaît avec lui.
— C’est bien ce qui me rend malade ! Jésus a perdu son temps, a gâché sa vie pour rien…
D’ici peu, tout le monde l’aura oublié…
Cette histoire est inspirée d’une bande-dessinée de Gérard Lauzier. Elles ont en commun le refus du même dogme…