J’ai été embarrassée pour « classer » cette histoire. La genèse de cette histoire est assez étrange. Ce n’est pas un fantasme, ce n’est pas non plus une histoire vraie, mais presque. En fait, j’ai rêvé cette histoire, avec une telle acuité que les détails sont restés gravés dans mon esprit. Et donc ce que je vous raconte est vrai, même si ces évènements n’ont jamais eu lieu. J’ai eu juste à la mettre en scène, donner des noms, préciser des lieux, et étoffer l’histoire des personnages. Je me souviens que ça débutait un soir d’orage sur une route de montagne. Par commodité, on dira que ça se passait dans les montagnes qui entourent Digne que je connais bien.
Une tempête achevait de traverser la France. L’orage était d’une rare violence. Les éclairs succédaient aux éclairs provoquant un grondement continu dont les échos se répercutaient d’une montagne à l’autre. La pluie s’abattait violemment avec cette force que connaissent les averses en montagne.
Sur une petite route grimpant à flanc de montagne, un puissant 4X4 montait vers les hauteurs en se jouant des éléments déchaînés. Son objectif était une grande villa accrochée sur un replat qui dominait la vallée de la Bléone. Cinq jeunes gens étaient à bord, dont quatre au moins n’en menaient pas large. Seul Romain, le conducteur affichait une sérénité à toute épreuve.
Encore un peu de courage les amis, à peine plus d’un kilomètre. Ne vous en faites pas, je connais ce chemin comme ma poche !
Celle que tu ne sais pas trouée ? plaisanta Jacques.
Quand la foudre s’abattit à peu de distance de la voiture, ils crurent leur dernière heure arrivée, tellement le fracas avait été terrible. Il y eut des cris dans la voiture, mais Romain éclata de rire et conserva un calme olympien. On ne le surnommait pas « Schumi » pour rien…
Les autres occupants étaient deux garçons et deux filles, Jacques déjà évoqué, Joseph, Kate et Jasmine. Les cinq jeunes gens étaient des élèves ingénieurs fraîchement diplômés, et pour fêter leurs diplômes tout neufs, Romain avait invité ses amis à passer le week-end dans la villa de son père sur les hauteurs de Digne. C’était un groupe de vrais amis, parmi les meilleurs de la promotion. Romain en était sorti premier, Jasmine seconde. Joseph, Kate et Jacques, respectivement quatrième, cinquième et septième.
C’est avec soulagement que le groupe vit apparaître la villa dans la lueur des phares. Romain lança un signal, et une porte de garage s’ouvrit en sous-sol. La voiture s’engouffra dans l’ouverture en ruisselant de toute part.
J’ai bien cru qu’on n’y arriverait pas vivant ! soupira Kate. Bravo Schumi !
N’exagérons rien, répondit Romain. Je n’allais pas très vite et il n’y a pas ici de torrent susceptible de déborder sur la route. C’est impressionnant, mais pour le 4X4 c’est de la rigolade. Allez, on sort les bagages, on s’installe et puis on fera une flambée. Tiens ? On est sur le secours ?
Secours de quoi ?
Électrique. La ligne principale a dû péter quelque part. Mais ce n’est pas un problème. La villa a son propre groupe électrique grâce à une turbine hydraulique alimentée par une conduite forcée. Venez, je vous précède.
La maison était moderne, sur trois niveaux. Au premier se trouvaient les garages, les caves, le local technique, la buanderie, un cellier, le tout semi-enterré. Au second, un immense salon-salle à manger-cuisine ouvert largement sur trois côtés, le quatrième étant adossé à la montagne. Ce second niveau se prolongeait à l’extérieur par une grande terrasse où trônait une piscine. Enfin, au troisième niveau se trouvaient les chambres, deux salles de bain et les balcons qui, sur quatre côtés offraient une magnifique vue sur la vallée et les montagnes environnantes. Du moins de jour… Le groupe venait d’atteindre le second niveau quand Romain s’arrêta interloqué.
Mince ? C’est quoi ça ?
Quoi « c’est quoi ça » ?
Ces deux portes, dans le mur ?
Il faisait face au seul côté du salon accolé à la montagne. Deux grandes portes en bois, identiques, sans la moindre serrure ou poignée apparente s’y trouvaient de façon insolite.
Il n’y a jamais eu de porte ici, dit-il perplexe. Derrière, c’est le rocher. Et puis pourquoi « deux » portes ? Ça n’a pas de sens ?
Laissant tomber leurs bagages, les cinq jeunes gens examinèrent les deux portes, mais ne trouvèrent aucun système d’ouverture. Ils remarquèrent juste qu’au-dessus de l’une était gravé un cur, et une étoile à huit branches pour l’autre.
Ça fait longtemps que t’es pas venu ? demanda Jacques.
Huit mois, juste avant le début de l’année scolaire.
Alors peut-être que ton père a fait installer un local derrière, tout simplement. Il est chercheur, non ?
Oui… peut-être. Bizarre quand même.
Le père de Romain était un cadre dirigeant d’une entreprise pharmaceutique. Installer, par exemple un labo dans la maison n’avait rien d’extraordinaire. L’explication était plausible.
Faudra que je lui pose la question. Ah, je l’appelle pour lui dire qu’on est arrivés.
Ses quatre amis faisaient le tour de la maison. Romain sortit son smartphone, mais laissa échapper un juron.
Merde, pas de réseau…
Moi non plus.
Zut ! L’internet alors ?
Une box trônait en dessous d’un énorme écran. Romain fit la moue. La box affichait piteusement qu’elle cherchait un signal, mais n’y arrivait pas…
Ça c’est l’orage, fit-il. A tous les coups, la ligne est coupée par la chute d’un arbre. C’est déjà arrivé. Et une antenne relais a dû prendre un coup de foudre. Bon, tant pis, j’en serai quitte pour descendre en ville demain pour passer un coup de fil, à moins que l’on soit dépanné rapidement. Venez, je vous installe.
Ils suivirent Romain au dernier niveau. Depuis les chambres, le spectacle était dantesque. Les coups de foudre se succédaient toutes les cinq secondes et le grondement de l’orage roulait en continu dans la nuit. Sur un chevet, un radio-réveil clignotait, attestant de la coupure de courant.
Quelle heure est-il ? fit Romain. Zut… Ma montre ? Qu’est-ce que j’en ai fais ? J’étais persuadé de l’avoir au poignet quand on est parti ?
Moi c’est mon écharpe que je ne retrouve pas, répondit Kate. Je l’avais autour du cou en montant, et en sortant de la voiture, impossible de remettre la main dessus.
Sacré feu d’artifice, coupa Jacques…
Tu l’as dit. Bon : les filles, vous allez prendre la chambre de mes parents. Et nous les hommes, on va prendre chacun une des autres chambres. Au moins, on ne sera pas gêné par les ronflements des uns et des autres.
On vous laisse ce plaisir les filles, rajouta Jacques en rigolant.
Salaud !
Il est probable que les uns regretteraient les ronflements des autres… L’orage ne cessait pas, le vacarme était continu. Blotties l’une contre l’autre, se crispant à chaque coup de foudre et incapables de dormir, Kate et Jasmine discutèrent pour tuer le temps.
Pourquoi Romain nous a-t-il dit de dormir ensemble ? demanda Jasmine. Tu étais son binôme à l’école et vous avez couché ensemble souvent, pas vrai ?
Et plus que ça ! répondit Kate. Si tu savais combien de mecs et de filles j’ai baisés !
Elle se mit à rire. Elle avait la réputation d’être bisexuelle, de ne pas avoir froid aux yeux et le feu aux fesses. On lui prêtait des dizaines de partenaires durant ses études d’ingénieur. Et c’était vrai. Mais elle le vivait très bien, disant que c’était son cul, qu’elle en faisait ce qu’elle voulait, et que si seul le train ne lui était pas passé dessus, c’est parce qu’elle ne pouvait pas être partout ! Mais elle avait trouvé une certaine stabilité depuis qu’elle avait travaillé en binôme avec Romain au point qu’on les considérait comme un couple libre, mais presque normal.
On n’a pas voulu vous embarrasser Joseph et toi, reprit Kate plus sérieusement. Ça nous ennuyait d’aller faire des cochonneries à deux pendant que vous seriez seuls chacun dans votre coin.
Je sais pas comment tu peux baiser indifféremment n’importe qui, répondit Jasmine en éludant l’allusion à Joseph. Moi je ne pourrai pas…
Là c’est sûr, c’est pas du tout ton truc ma chérie…
Kate faisait allusion au côté réservé de Jasmine. Elle était tout son contraire. On disait qu’elle était vierge, ce qui n’était pas faux. Cela ne l’avait pas empêché de réussir brillamment ses études. C’était une fille toujours joyeuse et de bonne humeur. Mais quelques jours avant la remise des diplômes, elle avait brusquement changé d’humeur. Elle était devenue renfermée, presque triste et n’avait accepté l’invitation de Romain que du bout des lèvres. Kate voulut en savoir plus. Jasmine refusa, mais son amie revint à la charge.
Tu peux tout me dire Jasmine, on est entre filles, je ne dirai rien à personne et tu as l’air d’en avoir gros sur le cur. C’est… Joseph ?
Joseph était le binôme de Jasmine, de la même façon que Kate et Romain. Joseph était un garçon timide qui progressivement s’était mis à avoir des attentions et des regards tendres pour Jasmine. Le garçon était amoureux, tout le monde le voyait, mais il n’avait jamais pu se décider à franchir le pas et déclarer son amour à Jasmine. Et cette dernière éprouvait aussi des sentiments allant au-delà de la collaboration scolaire, sans tenter de solliciter le garçon. Deux idiots… A la grande surprise de Kate, Jasmine fondit en larmes !
Mais… que ? Jasmine qu’est-ce que tu as ?
Oh Kate si tu savais !
Entre deux sanglots, Jasmine lui raconta ce qui la tourmentait. Kate ouvrit de grands yeux.
Mais c’est abominable ! Tu ne peux pas laisser faire ça ?
Je ne peux pas Kate, je suis coincée, tu le vois bien…
Mais… Et Joseph dans tout ça ? Parce que tu l’aimes aussi, c’est ce que tu viens de me dire ? Alors ? Non, c’est pas possible, il faut qu’on trouve une échappatoire…
Pendant ce temps dans sa chambre, Joseph ne trouvait pas non plus le sommeil. Et l’orage n’y était pour rien. Jasmine occupait ses pensées. Ils s’étaient connus au début de leur troisième année et s’étaient retrouvés par tirage au sort, liés en binôme. Et le hasard avait bien fait les choses tellement les deux jeunes gens étaient brillants, leur classement final le démontrait.
Mais ce qui les liait allait bien au-delà du seul domaine scolaire. Très rapidement, une véritable entente suivie d’une franche camaraderie s’était faite entre eux. Puis ils étaient devenus de vrais amis au sein du petit groupe formé avec Kate, Jacques et Romain. Et puis ce stade avait été dépassé. Il était amoureux de la belle brune. Il était fasciné par ses grands yeux noirs, ses cheveux de jais, sa peau mate, son chaud sourire, ses sourires, sa gentillesse, son… charme. Il perdait ses moyens quand elle lui parlait au point que parfois ses notes s’en ressentaient. Il avait des manifestations physiques évidentes quand il pensait à elle, tout son être se tendait vers elle. Il était amoureux. Il le savait, il le sentait bien.
Mais il y avait un problème qui lui semblait insurmontable. Joseph était juif. Et son père était un rabbin. Quoique non pratiquant, il respectait son père et n’aurait jamais voulu aller contre sa volonté. Et ce dernier n’aurait jamais admis que son fils se marie avec une non-juive. Or, la belle Jasmine était d’origine marocaine. Et une musulmane, en plus…
A cause de cela, il n’avait jamais pu se résigner à lui avouer ses sentiments. Et cela le torturait. Malheureusement, l’année scolaire était terminée. Ils avaient leurs diplômes et allaient entrer dans la vie active. Sauf miracle, cela les éloignerait et leurs sentiments en pâtiraient. Loin des yeux, loin du cur… C’était insupportable. Il avait trop mal à l’idée de perdre Jasmine, il devait faire quelque chose.
Le séjour ne devait durer que quatre ou cinq jours. Après ce serait trop tard, il allait la perdre. Alors il prit une grande décision : dès le lendemain, il avouerait son amour à Jasmine, quelles que soient les conséquences, dut-il pour ça affronter son père et se couper de sa famille. Tout, n’importe quoi, même vendre son âme au diable pour la garder auprès de lui pour l’éternité.
A suivre…