Aujourdhui, à mon retour, Anne range rapidement son ouvrage, membrasse tendrement et se précipite en cuisine pour me préparer un café. Je soulève le couvercle de son panier et examine la pièce du dessus. Cest une charmante culotte de dame en soie rose. Je me pique à une aiguille: ma petite femme était en train de broder son court prénom dans un cur à lavant de lobjet. Etrange, cest une première. A-t-elle peur de perdre le précieux étui, veut-elle me rappeler son prénom ou veut-elle en faire cadeau à un collectionneur? Souhaite-t-elle que le séducteur puisse reconnaître au premier coup dil cette offrande, et la distingue infailliblement parmi toutes ses prises anonymes, emportées souvent par surprise. Ce serait comme une volonté dexister dans la durée, de faire durer ladultère, den faire une longue histoire damour, une liaison sans fin. De sa conduite dans les jours suivants je conclus que la broderie nest pas destinée à attirer mon attention: elle disparaît. Malgré ma jalousie maladive, je ne cherche pas dans les tiroirs ou les armoires. Mieux vaut croire que lobjet occupe sa place parmi ses semblables.
-Je suis très fatiguée, mon amour et je me suis fait une entorse à la cheville. Je ne pourrai pas participer à la randonnée. Jen suis malheureuse, je me sens si bien quand nous marchons côte à côte. Hélas, demain tu iras sans moi. Je ne voudrais pas te priver de cette sortie.
-Ne tinquiète pas. Je nai pas lintention de te laisser seule à la maison si tu nes pas en forme. Montre-moi ton pied. Effectivement ta cheville est enflée. Prends un bain de pied. Je vais appliquer de larnica et bander pied et cheville. Et demain je te conduirai chez notre généraliste pour voir ce quil faut faire.
-Mais non, cest un petit bobo, je ne vais pas forcer et les choses se remettront delles-mêmes en quelques jours. Non, va à cette randonnée. Mais, attention, pas de tu comprends. Laisse Geneviève et compagnie. Si tu fais un écart, il y aura une bonne copine pour me le dire; et alors attends-toi au pire.
-Mais
-Il ny a pas de mais. Tu y vas, un point cest tout. Embrasse-moi idiot. Je taime.
Le pire! Je nai pas besoin dun dessin pour me le représenter. En vérité, ses deux chevilles ont le même diamètre. Elle soupire bien fort pendant que je déroule le bandage. Ce soir en raison de sa grande fatigue, je devrai me contenter de baisers sur la bouche, de caresses prudentes. Il faut éviter une excitation qui pourrait aggraver sa blessure.
— Sage, mon amour. Une pose dans nos habituelles démonstrations damour, sera bénéfique et te permettra de recharger les batteries pour le plus grand bonheur de notre couple.
Elle se repose pour accueillir le chevalier blanc et me met à la diète. Mon calvaire continue. Je nai pas lintention de laisser faire.
Quand elle pose son bracelet dans le tiroir de la table de chevet, je vois léclair rose dun objet de soie. Je me souviens, cest la petite culotte brodée. Elle est privilégiée, à lécart de toutes les autres, comme prête à une cérémonie prochaine. Demain elle rehaussera laccueil, demain Sylvain en essuiera la chatte trempée de sécrétions mélangées et la subtilisera pour agrandir son musée des conquêtes féminines.
Anne a pris un analgésique, ma innocemment souhaité bonne nuit et sest endormie. Je suis tourmenté, je maudis ce jour où jai découvert les histoires de cul de ces randonneurs, les tromperies, les hypocrisies et les risques courus par les plus honnêtes. Comment dormir, agité par une foule dimages déchirantes et par la pensée dune trahison préméditée. Le sommeil memporte après une longue insomnie remplie de fantasmes mêlés aux images crues de la réalité vécue.
Vers neuf heures, Anne me secoue.
-Quest-ce que tu fais là? Je te croyais parti. Ils doivent être loin déjà. Si tu te dépêches tu pourras les rejoindre au deuxième arrêt en prenant un raccourci.
-Jétais tellement chagriné par ton problème de santé: jai eu du mal à mendormir. Jen ai oublié de mettre la sonnerie du réveil. Tant pis. Ne ten fais pas, réjouis-toi plutôt de me garder près de toi dans lépreuve. Voyons le bon côté des choses
-Indécrottable optimiste. Tu ne changeras jamais. Cest-ce que jai aimé par-dessus tout chez toi. Mais parfois, cest lourd
Le compliment tourne au reproche. Jen comprends vite la raison. A travers les persiennes, japerçois sur le trottoir une silhouette et un chien tenu en laisse. Lhomme fait un va et vient sur une courte distance en face de notre maison. Qui sintéresse à larchitecture si simple de notre bâtisse?
-Ma chérie, reste encore allongée, je vais moccuper de ton pied. Attends, je vais ouvrir les volets.
Jécarte les battants et je reconnais lindividu: cest Sylvain. Il sest bien éloigné de la poste! Son chien la égaré. Est-ce le chien qui insiste pour accomplir ces allées et venues en face de chez nous?
Je lui adresse un signe de la main. Il me voit, répond à mon geste et sen va.
-Chérie, je ne serai pas le seul absent à la marche aujourdhui. Figure-toi que je viens de voir passer Sylvain et son toutou. Je croyais quil habitait loin, à la poste.
-Ah! Bon, et il viendrait promener son chien jusquici? Tu es sûr de ne pas confondre Sylvain et un voisin?
Devant tant de mauvaise foi, je mincline. Si ces deux là ne se sont pas donné rendez-vous, ici, pendant que je marcherais gentiment par monts et par vaux, je donne ma main à couper.
-Cest possible. Depuis votre écart en forêt, je le vois partout. Ce doit être une hallucination de plus.
-Oh! Mon pauvre chéri. Tu me fais culpabiliser. Mais tu ne vas pas imaginer, ah! non, que je lui ai donné rendez-vous? Ô, que je suis malheureuse. Tu me soupçonnes dinfidélité, tu crois que je cours derrière ce pervers!
-Ne pleure pas, jai pu me tromper, le soleil ma ébloui. Que viendrait-il chercher dans notre quartier? Après tout, il est bien libre daller se promener où il veut. Et si le hasard lui fait faire les cents pas devant chez nous, cela ne signifie pas nécessairement que tu lui as fixé un rendez-vous.
Les pleurs redoublent, elle oublie sa cheville douloureuse et part en courant vers la salle de bain.
-Attention, tu vas tomber, la bande sest défaite.
Lavertissement la bloque, elle ramasse lextrémité de la bande et reprend sa claudication appliquée.
-Chéri, viens maider, jai besoin de ton aide. Et puis, dis-moi bonjour.
Elle est nue sous la douche, me tend les bras, juge leffet de sa nudité sur mon sexe, a un sourire enjôleur. Aux baisers fades et prudents du soir succède une ventouse surprise, à réveiller le plus déprimé des maris. Nous attaquons debout avant daller mouiller le drap de lit. Lanalgésique a supprimé la douleur, il nen est plus questions, cest oublié. Appuyée sur les talons elle soulève son bassin pour offrir son sexe en attente, pour réclamer le baiser de braise sur sa vulve gonflée de désir. On est bien au lit pour saimer, sans risque dêtre dérangé, sans peur des fourmis ou des araignées. Je prends Anne, je la maintiens sur le dos, mes mains encerclent ses chevilles renversées sur ses épaules et je lui prouve quil a suffi dune nuit pour recharger mes batteries. Quand elle crie, ce nest pas de douleur, croyez-moi. Et pour une fois, sans remords ni regrets, planté au fond du vagin, je déverse à lentrée de lutérus une double ration de sperme dont les jets successifs provoquent un orgasme dune intensité de 9 sur léchelle de Richter. Cest en tout cas ce quil me plaît de penser. Et Anne ne semble pas simuler son plaisir.
Je devrais remercier Sylvain davoir rebousté notre activité sexuelle et davoir rendu ses ailes à Cupidon.
En attendant la vie peut reprendre son cours. Je men veux beaucoup de mêtre montré aussi chagrin sans raison valable. Il ne sest rien passé de répréhensible. Je me suis fait du mal et Anne en a souffert. Au fil des jours, apparaissent certains changements. Aux accès deuphorie succèdent parfois des heures de mélancolie. Jentends moins de chants, je rencontre des regards tristes, je surprends des mines désolées. A mes questions inquiètes Anne répond
-Je suis songeuse? Pas plus que dhabitude. Tout va bien. Merci de tinquiéter, mais rien ne le justifie.
Je ne revois plus dans ma rue le sosie de Sylvain ni son loulou blanc. Lautre jour Anne ma déclaré
-Quand jaurai brodé mon prénom sur mes culottes, je broderai le tien en bleu sur tes slips, ainsi le plaisantin qui ma dérobé du petit linge sur le fil du jardin aura peur dêtre repéré. Toutes les filles du club ont décidé den faire autant pour le dissuader.
-Heureusement, mes parents ne mont pas appelé NABUCHODONOSOR! Pourquoi céder à un vent de folie. Ton voleur sappelle peut-être bourrasque.
Je plaisante pour cacher mon ennui. Jai cru à la fameuse collection du guignol de la poste. Na-t-il pas bâti sa légende de grand séducteur sur quelques vols de lingerie intime? Cette légende lui ouvrirait maintenant les portes de la folle du logis de celles qui se vexent davoir été oubliées. Leur imagination les conduit à espérer la venue prochaine du prince charmant. Ainsi, la culotte volée, il lui reste à remporter sans résistance une place impatiente de se rendre. Jévite de faire partager mes soupçons pour ne pas alimenter inutilement lenvie dappartenir au cercle des élues. Peut-être suis-je plus près de la rechute que ma chérie. La paranoïa me guette. Jai bâti tout un roman sur cette culotte brodée pour apprendre soudain que cest un effet de mode au sein dun cercle fermé de ménagères.
Aux joies de la randonnée jai décidé dajouter le plaisir de la photo. Les paysages, les personnages, les groupes en transformation, les anecdotes croustillantes, les petits événements. Avec un appareil numérique on peut enregistrer un peu tout. Le travail le plus difficile sera le tri, le rejet des photos de mauvaise qualité ou sans intérêt. Ainsi je vais pouvoir parcourir davant en arrière le flot des participants, créer une mémoire de nos sorties, et pourquoi pas organiser une exposition annuelle. Sans sermon, la crainte dêtre épinglé inspirera de la retenue aux plus audacieux. En même temps, je trouve dans cette activité loccasion, non formulée, de rendre à Anne un peu plus de liberté dans le choix de ses compagnes ou compagnons de route. Bien entendu je minterdis les photos compromettantes des couples cachés derrières les feuillages bas ou des personnes obéissant aux impératifs des besoins naturels. Anne supervisera mon travail.
Premier résultat tangible, quand une dame doit sisoler, spontanément une autre assure sa protection en bordure de chemin. Cette organisation réelle bien que non inscrite au règlement est-elle responsable des absences fréquentes du chasseur de culottes. On le voit de moins en moins dans le groupe. Geneviève sest beaucoup rapprochée de Sabine. Elles encadrent habituellement ladjoint en tête de colonne. Les haltes casse-croûte sont plus joyeuses. Sans le vouloir jai organisé un concours des plus beaux rires et sourires. Anne paraît plus détendue, hélas trop souvent encore je la retrouve rêveuse. Je lui manque, je la laisse trop souvent seule.
Pourquoi ne marchons-nous pas plus souvent ensemble? Pour lui plaire je diminue le nombre de prises de vues. Personne ne sen plaint. Mon Sony reste dans ma poche pour un événement exceptionnel. Ce midi, monsieur le maire nous a rejoint en voiture au point de ralliement Geneviève laccueille officiellement, car Sabine et monsieur ladjoint se sont attardés pour vérifier le bon déroulement de labattage des arbres. Tout le monde a réclamé une photo du groupe rassemblé autour de lillustre visiteur.
On a dépêché deux coureurs au devant des attardés et on a crié leur nom. Ils arrivent tout rouges et essoufflés. Le malheureux adjoint est suivi par un pan de chemise échappé de son pantalon. Cest luvre, personne ne le contredira, dune branche facétieuse accrochée pendant sa course. Madame Sabine en rit et raconte le pourquoi du comment. Geneviève redresse la situation: jimmortalise cet instant savoureux où lépouse remet en place ce que la maîtresse avait dérangé.
Monsieur le maire en sourit. Cet adjoint dévoué est irremplaçable et il le félicite solennellement pour lensemble de son uvre. Sabine applaudit plus fort que les autres ce petit discours improvisé et ces félicitations bien méritées, elle en sait quelque chose.