Après cette première nuit de débauche, les surs du couvent de Mouillépartansec prirent l’habitude de se rendre chaque samedi, en fin d’après-midi, pour une soirée orgiaque à l’abbaye de Ker Ozen. Les villageois qui se découvraient et se signaient au passage de cette lente procession hebdomadaire sur le chemin de l’abbaye étaient surpris de voir ces religieuses faire preuve d’autant de foi en les entendant réciter leur chapelet et entonner de temps en temps quelques cantiques. S’ils avaient su qu’elles s’y rendaient pour participer à une communion de la chair, totalement débridée, ils en seraient tombés des nues.
Dès leur arrivée, elles ne perdaient pas de temps en futiles présentations et autres salamalecs. Après s’être rapidement dévêtues, et ayant accroché leurs vêtements à la longue planche couverte de clous Schlomo mise en place en guise de portemanteaux par l’Abbé Névol, elles fonçaient nues, seins ballotants, vers le cloître où, attaché sur sa croix et le sexe toujours érigé, le Père Igor ne pouvait que subir les assauts de ces femelles en chaleur qui, après leur semaine d’abstinence, se déchaînaient et s’empalaient à tour de rôle sur le mandrin qui était à leur disposition.
Les braves pères de l’abbaye se joignaient, sans se faire prier, à cette partouze qui devenait bien organisée, avec victuailles, boissons et musique. La Mère Cure mettait de l’ambiance et faisait monter la température de quelques degrés sous la voûte du cloître.
La Mère Mac’Rell, de par ses origines écossaises, jouait souvent des airs de cornemuse ; mais entre deux morceaux elle délaissait volontiers les tuyaux du bagpipe pour aspirer goulûment les tubes de chair, gonflés de désir, qui se présentaient devant sa bouche ; son adresse buccale forçait l’admiration de ces mâles en rut. Certains, après être passés dans sa bouche, avaient l’impression d’avoir subi un véritable essorage et ne savaient même plus à quel saint se vouer.
La Mère Itagricol frottait son opulente poitrine ou plutôt ses lourdes mamelles aux tétons gros comme le pouce contre une statue en granit de Saint Serge. Saint figé dans la pierre, plus habitué à recevoir des prières que les caresses d’une soyeuse paire de seins. Tout en se caressant contre la statue, elle se mit à pousser de véritables meuglements de plaisir lorsque le Père Forateur entreprit de la sodomiser avec le lourd goupillon de bronze destiné à bénir la foule lors des grandes cérémonies.
Un peu à l’écart, l’Abbé Habat, en compagnie du Père Séver, initiait la paresseuse Mère Detoulévisse aux plaisirs masochistes. Elle s’était laissée attacher passivement à l’un des piliers du cloître et recevait en alternance sur son postérieur les coups de martinet et de cravache que lui donnaient les deux pères. Les fesses rougies et marquées par endroits, elle gémissait de plaisir, se mordant les lèvres pour ne pas hurler de plaisir ; elle sentait son humidité couler le long de ses cuisses et aurait bien voulu, à cet instant, être prise sauvagement. Ses bourreaux l’entendirent, dans un souffle, dire « amen » mais n’en comprirent pas le sens.
La Mère Loque, pour mieux exciter les moines, s’était parée de sous-vêtements affriolants. Lorsque les bons pères la virent ainsi se trémousser, leurs désirs atteignirent leur paroxysme, et ce fut une course effrénée pour récupérer un bas, le porte-jarretelles, le string ou le corset, se battant même jusqu’à ce que les précieux dessous se retrouvent en lambeaux. Finalement, ils délaissèrent le tas de guenilles pour combler ses différents orifices.
Au comble de l’ivresse, frères et surs entonnèrent dans une cacophonie avinée une série de chansons paillardes, dont celle-ci :
Les hommes de Loctudy
Ont écrit une lettre à monsieur le curé :
Curé, curé, Curé on vous en prie,
Les filles de Loctudy, il faut qu’on les marie.
L’curé n’s’est pas dégonflé,
Et en chaire il a prononcé :
Jeunes gens, jeunes gens,
Jeunes gens, je vous en prie,
Les filles de Loctudy, il faut qu’on les marie.
Les jeunes gens ont répondu :
Les filles de Loctudy, nous n’en voulons plus ;
Nous préférons les belles Guilvinistes,
Les filles de Loctudy ont toutes la chaude-pisse.
Nous préférons les filles de l’autre école,
Les filles de Loctudy ont toutes la vérole !
(bribes d’un chant de marins que je ne retrouve plus)
Le Père Duhanmer se sentait bien seul au milieu de cet océan de débauche. Il avait beau multiplier les appels de détresse, rien n’y faisait, et il voyait ses coreligionnaires sombrer peu à peu dans le stupre et la luxure. Ce n’étaient pas les illades énamourées que lui lançait la Mère Lanfri qui le détourneraient du droit chemin ; et même s’il se contentait de regarder cet enchevêtrement de corps et ces accouplements bestiaux dans ce cloître transformé en lupanar, il était bien décidé à ne pas trahir ses vux de chasteté.
Peu avant que l’Angélus du matin ne sonne, la Mère Itémissahèste se chargeait de faire rhabiller les surs, et le café brûlant servi par le Père Colateur leur permettait de reprendre la route de Mouillépartansec avec un air plus digne.
Après toutes ces agapes, le Père Plex ne pouvait que se rendre à l’évidence : le Père Igor ne débandait pas. Le phénomène devenait étrange, car depuis le temps qu’il avait ingurgité la tisane du Père Cil, il y avait bien longtemps qu’elle ne devrait plus lui faire d’effet. Au sein de la communauté monastique, personne n’était capable de fournir une explication rationnelle. Quant aux surs du couvent voisin, pour elles, seule la bite comptait (et ne fait pas le moine !). Ce sexe érigé en permanence convenait parfaitement à leur bonheur ; et si elles avaient pu ramener le Père Igor et sa croix au couvent sans attirer l’attention, elles ne se seraient pas privées d’être comblées quotidiennement.
Comme cela devenait vraiment mystérieux, le Père Plex, après de nombreuses hésitations, se décida à contacter le supérieur de la petite communauté bouddhiste qui s’était établie non loin de là.
En effet, à quelque distance de Ker Ozen, au pied des Montagnes Noires se dressait un petit temple bouddhiste, qui existe encore de nos jours. C’était assez surprenant de trouver en plein cur de la Bretagne ce monastère dirigé par le Bonze Hail, un petit être rabougri au nez pâle ; malgré tout, ce brave religieux originaire du Népal n’est pas laid.
D’autres moines l’avaient suivi jusqu’en France, notamment le Bonze Ho Fisse, le Bonze Hé Lèv et le Bonze Hé Loy Ho Cer Vis ; c’étaient de vénérables sages de l’Orient, dont les connaissances tant scientifiques que théologiques ne pouvaient être mises en doute.
Peu après leur arrivée, ils avaient eu le bonheur d’enregistrer la première conversion d’un autochtone ; c’était un gars de Lorient qui avait choisi vivre comme eux et se faisait appeler le Bonze Har Yen. Il était tout juste capable de faire tourner les moulins à prières. Encore fallait-il lui rappeler sans cesse qu’il devait faire tourner ces sacrés moulins dans le sens du déplacement de
l’ombre du cadran solaire, ce qui évidemment perturbait fortement le pauvre Bonze Har Yen pendant les jours de pluie,
Le Bonze Hail fut très impressionné et honoré de recevoir un courrier du Père Plex qui lui faisait part de ses inquiétudes et de ses recherches concernant le Père Igor, qui depuis plusieurs mois ne débandait plus et qui, selon certaines indications, pourrait être capable de se transformer en loup la nuit venue en fonction de certains paramètres. Il était très fier de pouvoir apporter son savoir à ces Occidentaux prétentieux. Aussi il prit conseil auprès des membres de sa petite communauté avant de répondre au Père Plex. Après quelques heures de débats, il rédigea un courrier pour lui annoncer qu’il se rendrait prochainement à Ker Ozen avec quelques bonzes afin de constater de visu l’état du Père Igor et d’essayer de trouver une solution à cet étrange phénomène.
Quelques jours plus tard, le samedi matin, la petite troupe de bonzes en robe safran prit la direction de Ker Ozen, et après quelques heures de marche sous le soleil de juin, arriva devant l’abbaye aux environ de midi, où ils furent reçus par le Père Plex et l’ensemble de la communauté qui leur avait préparé un bon et copieux repas.
(à suivre)