Chapitre 11 : Madeline Kalst
« J’adorais ma mère. J’étais une véritable princesse à ses yeux. Nous passions des heures à bavarder ensemble pendant qu’elle me coiffait ou me caressait les cheveux. J’aimais me coller à elle tandis qu’elle me lisait des contes merveilleux, des histoires de princes courageux, de princesses à sauver et de dragons à vaincre.
Avec mon père, c’était différent. Il était plus distant. Et puis il travaillait dur, alors je ne le voyais pas beaucoup. Et même en dehors de son travail, il n’était pas souvent à la maison, parti traîner je ne sais où. Quand il rentrait, il était toujours très fatigué et criait dès que je faisais trop de bruit. J’étais une enfant assez capricieuse, et ça, papa n’aimait pas du tout. Maman n’arrêtait pas de me dire de me tenir tranquille quand il était là et de lui obéir. Parfois, la nuit, je les entendais se disputer. Malgré tout, je sais que papa m’aimait, même s’il ne le montrait pas. Parfois, le soir après le dîner, lorsqu’il venait de s’asseoir dans son fauteuil et qu’il s’allumait une cigarette, je le surprenais à me regarder et à me sourire calmement. J’aimais ces moments. C’était les seuls où il acceptait de me prendre dans ses bras et de me caresser les cheveux.
J’avais horreur de l’école. Les autres enfants n’arrêtaient pas de se moquer de moi. Je ne sais pas pourquoi ils m’avaient choisie comme souffre-douleur. J’avais pourtant tout fait pour être acceptée, mais ça n’a jamais été suffisant. Je n’avais pas un seul ami. Une fois, une fille avait fait semblant d’être une amie, mais c’était dans le but de me ridiculiser. La première année, je n’ai rien dit et j’ai subi dans mon coin. La seconde, j’en ai parlé à mes maîtresses. Elles ont grondé les autres élèves, mais ça n’a rien changé : au contraire, mes camarades se sont vengés pour avoir cafté. La troisième, j’ai commencé à me défendre et à me montrer violente. Résultat, c’était moi que l’école punissait, et j’ai subi plusieurs corrections par mon père. Je finissais en pleurs dans ma chambre. Maman venait me rejoindre lorsque mon père était sorti. Elle me prenait dans ses bras pour me consoler et me chantait sa douce berceuse.
Et puis, c’est quelque temps après que j’ai appris la nouvelle : ma mère avait un cancer et n’en avait plus pour longtemps. Les premiers jours, j’étais en colère ; elle allait m’abandonner, me laisser seule avec mon père, elle, mon meilleur réconfort ! Comment pouvait-elle me faire ça ? Je criais et piquais des crises sans arrêt. Je m’en prenais à tout le monde. Je refusais d’obéir malgré les nombreuses corrections que mon père m’administrait. Finalement, je me suis calmée tandis que la santé de maman se détériorait de plus en plus.
Le jour de mes neuf ans, elle n’en avait plus que pour quelques jours. Elle restait tout le temps allongée dans son lit d’hôpital à dormir ou à vomir. Je vins la voir, les larmes aux yeux. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.
Approche, ma puce, j’ai un cadeau pour toi, dit-elle d’une voix faible, mais douce.
Je refusai. Je ne voulais pas de cadeau ; c’est elle que je voulais. Je voulais qu’elle se lève, qu’elle chante et qu’elle danse comme autrefois, qu’elle m’attrape et qu’elle me chatouille. Je voulais l’entendre rire et sentir son bon parfum de lilas. Je ne trouvais rien d’autre à faire que de sangloter.
Madeline, approche, insista-t-elle. Bientôt, je ne serai plus là, alors, s’il te plaît, viens dans mes bras une dernière fois.
Non, pleurai-je. Tu m’abandonnes, je te déteste !
Non, ma chérie. Jamais je ne pourrais t’abandonner. Je serai peut-être partie physiquement, mais je resterai éternellement à tes côtés, près de ton cur, et je veillerai sur toi. Allez, viens dans mes bras maintenant.
Je me précipitai dans ses bras réconfortants tandis qu’elle me chantait sa berceuse.
Sèche tes larmes, mon amour. Je suis là, à jamais. Avec toi pour toujours. Je te promets, mon bébé.
Finalement, je parvins à retrouver mon calme près du corps de ma mère. Elle sortit alors un paquet cadeau de sous son oreiller et me le tendit. J’hésitai avant de l’ouvrir ; c’était une grosse boîte de forme cylindrique, plutôt lourde. Maman insista pour que je l’ouvre. Une douce musique se fit alors entendre : c’était la berceuse qu’elle me chantait si souvent…
Je l’ai fait fabriquer spécialement pour toi. Chaque fois que tu te sentiras seule, tu n’auras qu’à ouvrir ta boîte à musique et te rappeler combien je t’aime.
Oh, maman, je t’aime moi aussi ! ai-je dit en lui sautant dans les bras.
Elle est morte quelques jours plus tard. Les jours ont suivi, mais plus rien n’avait de saveur. J’errais seule, sans amies, sans famille ; mon père était souvent absent, et quand il était là, il était de plus en plus souvent saoul. Personne pour me consoler. Je restais calfeutrée dans ma chambre à longueur de journée, tenant fermement ma boîte à musique dans mes mains et pleurant toutes les larmes de mon corps.
Mes résultats scolaires déjà pas brillants ont dégringolé ; je me battais encore plus avec mes camarades de classe qui se moquaient de moi, de quoi mettre mon père encore plus en rogne. Il me frappait, encore plus fortement qu’il ne le faisait avant que ma mère parte. Elle n’était plus là pour retenir ses coups, et l’alcool n’arrangeait rien.
Putain, Madeline, gueulait-il, ma vie est déjà assez compliquée comme ça. Pourquoi t’obstines-tu à me casser les couilles avec tes caprices ?
Je suis désolée, papa, je ne recommencerai plus. C’est promis, pleurais-je.
Mais je souffrais et j’avais besoin d’exprimer ma douleur d’une façon ou d’une autre. Si ce n’était pas à mes camarades que je m’en prenais, c’était à moi, me renfermant sur moi ou me faisant du mal, puis à quelques animaux errants qui passaient à portée et que je faisais souffrir, prise par une curiosité morbide de voir comment ils réagissaient à la douleur.
Les années ont passé et mes rapports avec mon père se sont quand même arrangés. J’avais réussi à faire énormément d’efforts sur ma conduite, à me montrer sage et serviable. Je voulais qu’il n’ait plus rien à me reprocher, alors je faisais tout pour lui faire plaisir. Même s’il me terrorisait, je n’avais plus que lui au monde. Mon père semblait satisfait, mais il n’avait pas arrêté l’alcool, alors parfois, quand il était vraiment très bourré ou qu’un élément venait le contrarier, il rentrait le soir en trombe et se défoulait sur moi, me tabassant tandis que résonnaient mes cris et mes larmes. Une fois la crise passée, je m’enfermais dans ma chambre, en larmes, et je m’emparais de ma boîte à musique pour écouter la berceuse de maman.
Le lendemain, il revenait vers moi, les larmes aux yeux, et s’excusait pour tout ce qu’il m’avait fait subir la veille. Il me prenait dans ses bras et me caressait les cheveux. Comme je l’aimais, je lui ai pardonné à chaque fois, me persuadant que j’avais dû fauter quelque part, que j’étais en partie responsable.
Ce n’est rien, papa, je suis là pour toi. Tu vas voir, je ferai tout pour que ça aille mieux. Je vais être une petite fille modèle et serviable. Tu n’auras plus rien à me reprocher. Je t’aime, papa !
Moi aussi, je t’aime.
C’est peu après mes dix-huit ans que la situation a dégénéré. Jusque-là, nous nous étions maintenus sur un équilibre fragile qui tenait bien malgré quelques débordements, mais ce soir-là, il est rentré encore plus saoul que d’habitude. Son humeur était déplorable. J’ai très vite compris qu’il venait de perdre son boulot à cause de son alcoolisme. Il m’en tenait responsable, prétendant que je ne faisais pas assez d’efforts, que c’était à cause de moi qu’il devait tout le temps se réfugier dans l’alcool. Il m’a frappée et m’a menacée de me foutre à la porte maintenant que j’étais majeure. À genoux, j’ai pleuré, le suppliant de se calmer tout en m’agrippant à ses jambes. Je lui ai promis que je ferais encore plus d’efforts.
Je l’ai fixé dans les yeux. Il avait un regard étrange. Une lueur inquiétante brillait au fond de ses pupilles, mais il semblait s’être calmé. Et puis il me caressait les cheveux comme il pouvait le faire autrefois quand tout allait bien.
Tu veux faire plus d’efforts, mais es-tu vraiment prête à ça ?
Bien sûr, papa, je veux que tu sois fière de moi.
Tu feras alors tout ce que je te demanderai ?
Il y avait comme un frémissement dans sa voix. Ses mains étaient tremblantes.
Absolument tout, ai-je promis, ne sachant pas trop où il voulait en venir.
Il a baissé une paume nerveuse vers son entrejambe et a ouvert sa braguette. Je fus choquée quand il a sorti un sexe d’une taille imposante, mais je n’ai pas osé fuir de peur de le décevoir. C’est là qu’il m’a demandé de le sucer en affirmant qu’il avait bien besoin de se détendre après tout ce que je lui avais fait subir.
Il n’a pas eu besoin de me forcer : j’ai fait ce qu’il me demandait sans la moindre émotion. Tout ce que je désirais, c’était de retrouver le père aimant de mon enfance. J’ai fait coulisser ce sexe rigide dans ma bouche, l’ai léché comme il m’a demandé de le faire et ai avalé quand il a craché sa semence. J’étais prête à tout pour qu’il me pardonne toutes les bêtises dont je me croyais coupable. Je pensais vraiment que me donner à lui allait arranger les choses, mais je me trompais.
Ça a été pire après. Ses moments de sobriété étaient de plus en plus rares. Il me trouvait toujours des trucs à me reprocher pour m’engueuler, puis avoir un prétexte pour me prendre. Parfois, je prenais les devants et m’agenouillais devant lui afin de le satisfaire avant que sa colère ne l’emporte et que je n’en subisse les conséquences. Je préférais qu’il se calme de cette manière, et puis je dois avouer que je commençais à ressentir une certaine forme de plaisir.
Un soir, il est rentré à la maison une nouvelle fois ivre mort. Il venait de perdre une forte somme au jeu. J’étais déjà couchée quand il a pénétré dans ma chambre. Il s’est assis sur mon lit et a commencé à me caresser les fesses. Tout en m’expliquant à quel point j’étais une fille dévouée et aimante, il a commencé à me trifouiller le cul avec deux de ses gros doigts dégoûtants. J’étais nerveuse ; je commençais à comprendre ce qu’il voulait, mais il ne m’avait jamais encore prise par là. J’avais peur d’avoir mal. Il s’est déshabillé et est venu se placer au-dessus de moi.
Je l’ai repoussé ; ça ne lui a pas plu. Il m’a traitée de fille ingrate et d’égoïste. J’ai fini par accepter sa requête tout en lui faisant promettre d’y aller doucement. Il s’est enfoncé d’un coup sec dans mon fondement, me faisant pousser un cri de douleur, et il a commencé à me sodomiser violemment. Je me suis laissée faire tout le long en attendant patiemment qu’il ait terminé mon calvaire. Il n’arrêtait pas de me dire qu’il m’aimait, que j’étais tout pour lui ; et moi je le croyais et je me laissais malmener. Malgré la douleur, j’éprouvais même une forme de fierté et de plaisir à satisfaire papa.
Tu es ma chose ! m’a-t-il gueulé. Tu n’es bonne qu’à me donner du plaisir, à me vider les couilles. Tu es la pute à papa ! Répète-le !
Oui, papa, je suis ta chose, ta pute, ton vide-couilles.
Ça a été suffisant pour le faire jouir. Il a beuglé un coup puis s’est écroulé sur mon lit, sombrant rapidement dans le sommeil. La nouvelle crise était passée. Moi, je me suis levée pour aller prendre une douche. L’eau s’est mélangée à mes larmes de douleur tandis que du sang et du sperme coulaient de mon anus.
C’est là que j’ai compris que tout ceci était vain. Mon père ne m’aimait pas. Il était mort en même temps que ma mère. Il n’avait plus rien de l’homme qu’il était dans le passé : il ne restait plus qu’un spectre qui cherchait un exutoire en moi. Me donner ainsi à lui ne servait à rien. Ce fut une révélation ! Et puis, il y avait cette ombre dans le miroir, celle-là même qui hantait de plus en plus mes cauchemars. Elle me murmurait d’en finir une bonne fois pour toutes. J’étais décidée à lui obéir d’une façon ou d’une autre.
Je suis revenue à pas de loup dans l’obscurité de ma chambre où ses ronflements tonitruants me donnaient envie de vomir. Sur la commode, j’ai attrapé la boîte de musique que m’avait offerte ma mère. Je me suis avancé près du lit. Il était là, inconscient, le visage plongé dans sa gerbe. Il m’a fait pitié, alors je n’ai pas réussi à trouver le courage de lui fracasser le crâne avec ma boîte à musique. Elle s’est écrasée lourdement au sol. J’avais échoué à le tuer, alors j’ai fui la maison.
Il y avait un homme que j’avais rencontré peu avant et avec qui j’avais réussi à sympathiser. Je l’aimais bien, et cela semblait réciproque. Comme je ne savais pas où aller, c’est chez lui que je me suis réfugiée. Je ne lui ai pas tout dit le premier soir, juste suffisamment pour qu’il accepte de m’héberger. Il comprenait bien qu’il s’était passé quelque chose de grave, alors il n’a pas hésité à m’accueillir. Il s’est montré doux et prévenant. Au bout de quelques jours, je me suis crue amoureuse. En confiance, je me suis confiée à lui, lui expliquant tout ce que j’avais vécu avec mon père, et en détail. Je lui ai raconté comment je me donnais à lui, que j’étais incapable de dire non. Après ça, nos rapports ont changé. J’ai bien vu que mes révélations avaient déclenché quelque chose en lui. Son regard sur moi a changé. Il m’a dit qu’il ne pouvait plus m’héberger, qu’il fallait que je quitte son appartement.
Ou alors, a-t-il dit, on pourrait peut-être s’arranger…
J’ai compris qu’il attendait la même chose que mon père, mais comme il se montrait plus doux et que j’étais tombée amoureuse de lui, j’ai accepté de lui donner tout ce qu’il désirait. Ça a duré jusqu’au jour où j’ai découvert qu’il fréquentait une autre fille dans mon dos. C’est après une violente dispute que je lui ai fracassé le crâne avec un marteau. Il s’est effondré au sol et une grosse mare de sang s’est répandue. J’ai paniqué, horrifiée par ce que je venais de faire, et j’ai fui une nouvelle fois.
J’ai erré. J’ai voulu me lier à plusieurs hommes certains très violents et j’ai tout fait pour qu’ils m’aiment, me désirent, et ne m’abandonnent jamais. Je me suis donnée sans réserve, apprenant et prenant goût à satisfaire tous leurs désirs, même les plus pervers. Mais j’ai fait erreur à chaque fois : aucun d’eux n’était mon âme sur. Je les ai éliminés les uns après les autres jusqu’à arriver à toi. »
Madeline vient de finir son récit, les larmes aux yeux et le corps tremblant. Ces mots ont bouleversé Aymeric. Il est pris de nausées. L’histoire de Mad est affreuse. Il ne sait pas quoi faire d’autre que de prendre la jeune femme dans ses bras. Elle est une victime elle aussi, victime d’un père monstrueux qui l’a maltraitée et a profité de sa faiblesse. Au contact des bras d’Aymeric, Madeline se lâche complètement, expulsant toutes les larmes de son corps en gémissant, puis en criant :
Je le déteste ! Je voudrais qu’il soit mort. J’aurais tant voulu le tuer de mes propres mains, mais j’ai jamais eu la force… Je voudrais qu’il soit mort !
C’est lui le responsable de tout, cet alcoolique violent qui a transformé Madeline en une folle dangereuse, et indirectement a provoqué à la mort de tous les êtres chers qu’avait Aymeric. Le garçon comprend très bien la peine que ressent Mad ; il ne peut qu’avoir du mépris, et même une haine viscérale envers ce père incestueux, ce monstre qui a réveillé l’homme d’ombre de Mad. La jeune femme n’a pas réussi à le tuer ; elle a failli à débarrasser le monde de cette crevure. Pourtant le monde irait mieux sans cet être infâme, Aymeric en est persuadé.
Je vais le faire, murmure-t-il pour la calmer. Je vais le tuer pour toi.