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Métropoli-sson – Chapitre 1

Métropoli-sson - Chapitre 1



Il est vingt heures. Début de soirée, le métro est bondé, il fait chaud, les gens pestent et empestent dans leur coin. Ça sent la fin de journée. La rame de métro les fait tanguer, leurs têtes et leurs corps tressautent au rythme de ses bifurcations imprévues et ses arrêts brusques.

Un homme est assis, tient un livre ouvert à la main, et d’un air serein qui détonne avec l’atmosphère morose qui règne dans le wagon, regarde les gens autour de lui. Une femme est debout, adossée aux strapontins en face de lui, écouteurs aux oreilles, lair un peu absent. Elle paraît rêveuse. Elle scrute l’horizon sans point de chute précis. La ligne de métro est longue et le trajet le sera aussi, car les arrêts sont nombreux.

Leurs regards se croisent une première fois. Se captent une seconde fois Puis une troisième. Et ainsi de suite Leurs yeux se cherchent, se trouvent et enfin se perdent… Pour se chercher à nouveau. Ils ont éveillé leur attention mutuelle. Il y a désormais ce petit truc qui ne peut pas empêcher leurs prunelles de se croiser.

La femme, soudainement absorbée par le paysage souterrain, lui lance parfois quelques regards en coin. Lhomme, les yeux mi-clos, la dévisage désormais par-dessus ses lunettes. Son regard glisse le long de ses boucles rousses, autour sa bouche pleine et de son visage ovale, et dévale sur son corps.

« Pourvu quelle descende comme moi au terminus ».

Elle nest pas non plus insensible à son regard plutôt pénétrant, à ses tempes grisonnantes et au fait quil soit largement plus âgé quelle, même si elle aimerait bien oser soutenir son regard.

Elle détaille d’abord le livre qu’il tient à la main. "Le tatouage" de Junichirô Tanizaki. Allons bon. Elle n’a jamais lu un seul livre de cet auteur mais seulement quelques extraits. Elle connait la qualité incontestable de ses écrits.

« Cet homme a du goût » se dit-elle. Ce semblant de point commun l’encourage à remonter ses yeux pour les planter directement dans le regard de l’homme, qui l’observait lui aussi. Noir et profond. Elle s’y perd.

Soudain, la place à côté de lhomme se libère.

« Cest maintenant ou jamais » se dit la jeune femme. Comme si elle avait des ressorts, elle se redresse dun coup et prend impulsivement place à côté de lhomme – qui a lair assez surpris.

Elle ne sait plus où se mettre et se perd finalement dans la contemplation ses propres pieds. Lhomme, conscient quil doit agir vite, approche alors sa cuisse de la sienne et dune voix basse commence à parler :

« Mademoiselle, je je ne sais pas ce qui vous a poussée poussée ou motivée à venir vous installer près de moi Vous étiez là, face à moi, je vous regardais, et puis il y avait cette distance Et dun seul coup, vous êtes à mes côtés Cest assez irréel comme situation, presque incroyable Jadmire votre courage, vraiment. Cest assez troublant mais Sachez que vous ne regretterez pas ce geste. Je mappelle Raphaël. »

La jeune femme, un peu moins intimidée, sort un bref « Clara ». Lhomme lui demande alors à quelle station elle descend.

— Au terminus, répond-elle.

— Comme moi Vous habitez dans le coin ?

— Oui, depuis peu Je débarque vous savez

Lhomme sourit en se disant que cette rencontre a lair bien prometteuse

— Alors bienvenue dans la Capitale de lAmour. Moi je suis prof Et vous ?

— Prof de quoi ? Je suis étudiante pour ma part, en école darchitecture !

— Prof de français ! Ah larchitecture Vous avez un architecte de prédilection ?

— Dans un collège, un lycée, ailleurs ? Larchitecture haussmannienne mimpressionnera toujours, jai même la chance dhabiter sous les toits haussmanniens, dans une chambre de bonne Cest petit et vétuste, mais jai une vue imprenable sur les toits parisiens ! Sinon les uvres de Ricardo Bofill minspirent particulièrement Jai plusieurs bouquins de ses réalisations chez moi !

— Prof de français dans un lycée. En pleine préparation du bac ! Ricardo Bofill ! Je ne connais que très vaguement, pourriez-vous men dire plus ?

Et au fur et à mesure quils discutaient, Clara souvrait petit à petit. Comme une fleur ouvre ses pétales, remarqua intérieurement lhomme. Il avait réussi à la mettre à laise en lamenant à parler dun sujet qui, visiblement, la passionnait. Le brouhaha et la morosité environnante étaient désormais invisibles et navaient plus aucune prise sur eux. La jeune femme intriguait encore plus Raphael. Clara était moins intimidée par lhomme, mais son regard profond et attentif la fascinait toujours autant.

Entraînés dans la spirale tourbillonnante des mots, Raphaël et Clara navaient pas vu les stations se succéder une à une. Le bip de fin sonore indiquant la fin du trajet les tira brusquement de leur bulle.

Ils étaient arrivés au terminus.

Ils descendent du métro et marchent silencieusement lun à côté de lautre, en se frayant un passage à travers tous ces gens qui comme eux, rentrent chez eux après une journée de travail. De toute manière, ils nauraient pas pu communiquer, vu le monde quil y a autour, le bruit environnant les aurait empêchés de se comprendre mutuellement.

Arrivés à la surface, libérés de lespèce de pression opprimante relative aux transports souterrains et à la foule, Clara sadosse à une barrière et fait mine de chercher quelque chose dans son sac.

Une fois de plus, beaucoup trop intimidée, elle cherche ses mots tout en ne sachant pas comment cette rencontre va sachever.

Elle tire un objet au hasard dans sa besace. Cest son portable. Peut-être que cest une coïncidence, peut-être quinconsciemment, son cerveau lui a ordonné de sen saisir, pour envoyer une sorte de signal invisible à son charmant interlocuteur. Car, à ce moment, en voyant la jeune femme sortir son téléphone, Raphaël ne peut pas sempêcher de sourire en se disant que la jeune femme a de la suite dans les idées. Il lui demande, faussement hésitant, si elle veut son numéro.

Clara, qui se sent plus gourde que jamais à cet instant, lui dit que oui, elle aimerait bien, « avec plaisir même » (alors que son geste était tout ce qu’il y a de plus involontaire et quelle naurait jamais osé lui demander quoi que ce soit).

Lhomme lui dicte son numéro en lui demandant de lui envoyer un SMS quand elle rentre chez elle. Clara acquiesce.

Il commence à se faire tard, alors Raphaël lui dit simplement « au revoir » en lui touchant lépaule. Il aurait aimé être plus tactile, lui faire la bise, quelle sente lattirance quil éprouvait pour elle elle Mais il ne voulait pas la brusquer.

Il espère avoir rapidement de ses nouvelles et quils auront loccasion de se revoir au cours du week-end.

Elle aurait aimé un au-revoir plus chaleureux, passer plus de temps à discuter, rester plus longtemps avec lui En fait, Clara aurait voulu quils passent cette soirée ensemble.

« Putain, mais ma pauvre vieille, d’abord tu abordes un type comme ça dans le métro, si ça se trouve cest un gros psychopathe, vous discutez un peu, et tu timagines déjà plein de trucs Redescends sur terre, en plus tu ne sais même pas si tu lui plais

Quoi que, la manière dont il ta regardée ! Arrête tes conneries, ten sais rien, tu verras bien »

Tout en continuant sa discussion intérieure, Clara emprunte la rue où son immeuble se trouve et tape le digicode pour entrer à l’intérieur. Elle gravit tous les étages qui la mènent à son petit studio, et tombe nez-à-nez avec un gros colis posé sur son paillasson.

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