Chapitre 28
« Bonsoir mon amour Tu ne dis Rien ?… C’est ce soir Oui, je le sens moi aussi. J’attends ce moment depuis si longtemps maintenant. Je suis toute excitée. C’est étrange, j’ai l’impression d’avoir à nouveau 25 ans. Nous allons enfin pouvoir être à nouveau ensemble, j’ai hâte. Je dois juste m’endormir, c’est bien ça ? Yvana va bientôt avoir besoin de moi, tu ne préfères pas attendre quelques jours ?… Bien sûr que je t’ai toujours fait confiance. Laisse-moi le temps de me calmer et dans quelques minutes je serai à toi pour l’éternité. »
— 6 Hein ? Non, je ne la compte pas celle-là, elle n’était pas assez forte.
— Yvana, ça me gêne vraiment Tu as déjà les fesses écarlates.
— N’exagère pas, elles sont à peine rosées. Je croyais que tu avais envie de coucher avec moi !
— Oui Mais ce n’est pas trop mon truc ça.
— C’est le mien, et sans ça, il n’y aura pas de sexe Allez, soit mignon, obéis à ta chef. Tu peux même prendre ta ceinture et me fouetter avec si tu veux.
— Non, je préfère arrêter là.
— Bon… Ok… Tu peux retourner à ton bureau et appeler ta petite copine pour lui dire que tu regrettes votre engueulade d’hier. Pense à lui ramener des fleurs ce soir.
— C’est une bonne idée ça.
— En attendant, je veux ta présentation sur mon bureau avant 18 heures !
J’aimais peut-être me faire frapper dans les moments intimes, mais j’avais aussi un tempérament de dominatrice bien prononcé sur les autres aspects de ma vie ; qui l’aurait cru avant ? Ça ne faisait que trois ans que j’avais mon diplôme et j’étais déjà responsable d’une équipe. Je n’avais pas d’état d’âme à coucher avec l’un de mes subordonnés ou un chef tant qu’on acceptait mes conditions. Certains se prêtaient au jeu sado maso que je leur imposais, appréciant alors ce que j’offrais en retour pour les autres, tant pis pour eux.
Je pris mon téléphone personnel, ma mère avait essayé de m’appeler. Elle n’avait pas laissé de message, comme à chaque fois que c’est urgent et qu’elle veut que je la recontacte rapidement. C’est ce que je fis :
— Papa ? C’est Yvana, je crois que maman a essayé de m’appeler.
— Je te la passe tout de suite, elle a quelque chose d’important à te dire Chérie ? C’est Yvana Elle est là, je te la passe.
— Coucou maman. Pourquoi m’as-tu appelée ?
— Ça y est Elle nous a quitté.
— Elle a souffert ?
— Non. Elle s’est endormie et ne s’est pas réveillée, c’est tout.
— Je suis si triste Elle était encore jeune
— Tu sais bien qu’elle attendait ça depuis la mort de mon père.
— Je sais Elle me manque déjà L’enterrement a lieu quand ?
— Jeudi.
— C’est une telle coïncidence ? Tu savais que Neven se marie Vendredi à la mairie, samedi à l’église ? C’est tout juste avant On ne sera pas loin
— J’y ai pensé. J’ai trouvé ça étrange moi aussi Mais, je vois que tu penses toujours à lui. Il viendra certainement à l’enterrement.
— Je vais poser des jours et j’arriverai ce soir pour t’aider à tout préparer De toute façon, il est certainement devenu moche et obèse.
Il y avait du monde à l’enterrement de ma grand-mère : de nombreuses personnes du village, d’autres que je ne connaissais pas. Je poussais ma mère bien assise sur son fauteuil roulant. Elle me présentait à des gens de la famille que je n’avais jamais vu avant ou peut-être lorsque j’étais toute petite… D’un autre côté, j’avais toujours fui toutes ces réunions de retrouvailles que ma grand-mère organisait.
Durant l’enterrement, j’ai ainsi fait la connaissance de la sur de mon grand-père, du demi-frère et de la demi-sur de ma mère. Puis, une drôle de vielle bonne femme avec plein de tatouages vint me prendre dans ses bras comme si nous nous connaissions depuis toujours. Elle me dit avec une sorte d’accent canadien
— Yvana, quel plaisir de te rencontrer enfin. Tu es sa copie conforme, aussi jolie qu’elle.
— Heuuu Merci.
— Et cette robe Merci de lui faire autant honneur. Je suis certaine qu’elle te regarde de là-haut avec une immense fierté.
Elle me lâcha enfin, et j’ai attendu qu’elle s’éloigne pour demander à ma mère :
— C’est qui cette folle ?
— Charline.
— Oui, je me souviens qu’elle m’en a parlée. Mais, je ne sais plus trop qui c’est.
— C’est une femme exceptionnelle. Pauline et elle sont devenues très proches après le décès de ton arrière-grand-père Bon, laisse-moi me débrouiller maintenant. Tu as à parler avec quelqu’un.
— Qui ?
Elle pointa de son bras amputé un homme qui restait en retrait, adossé à un tronc d’arbre. Je l’avais vu arriver depuis bien longtemps. Mais Après toutes ces années, qu’avais-je donc à lui dire ?
Un peu forcée par ma mère, mais aussi avec une certaine envie, je suis allée à sa rencontre. Sans même se dire bonjour, sans se faire la bise, comme si nous reprenions une conversation que nous n’avions pas finie, je lui ai demandé
— Pourquoi ne viens-tu pas te joindre à tout le monde ?
— Ho, c’est que je ne peux pas rester longtemps Je ne suis pas étonné de te voir dans la robe de mariée de ta grand-mère, elle te va toujours aussi bien peut-être mieux encore.
— Merci. Mais j’ai tout de même eu quelques remarques de certains qui trouvent que c’est « inacceptable » pour un enterrement. Et puis, avec ma coloration de cheveux bleue…
— Laisse-les parler ; ils ne peuvent pas comprendre Tu es encore plus belle que dans mes souvenirs.
— Ben Pour être franche, j’aurais préféré que tu sois devenu gros et chauve
— Pour ma part, je me demandais si tu serais plus facile à rouler qu’à pousser.
Nous avons échangé un petit sourire complice. Une hésitation j’avais envie de l’embrasser Il reprit
— Désolé, mais je dois y aller
— Oui, tu dois avoir plein de choses à faire avec ton mariage.
— Tu es au courant ?
— Grâce à Laura Ou à cause d’elle, je ne sais pas très bien.
— Je ne l’ai pas vue d’ailleurs.
— Tu la connais, elle ne peut jamais arriver sans avoir au moins une heure de retard. Et tu l’as invitée, il me semble. Tu la verras ce week-end.
— Oui J’aurai aimé t’inviter aussi, mais
— Je ne serais pas venue Merci d’être passé. Ça m’a fait plaisir de te revoir.
— Moi aussi. Peut-être à une autre fois.
Il partit. Je le regardais Il récupéra un casque de moto qu’il avait laissé au pied d’un arbre, s’éloigna de plus en plus et ma gorge se serra. Une main se posa sur mon épaule
— Ça va ma fille ?
— Bof papa, j’ai eu de meilleurs moments dans ma vie.
— Jade a un message à te faire passer, ayant du mal à rouler sur l’herbe : si tu ne te précipites pas pour le retenir, elle te fout dans le cercueil avec Pauline Il s’agit de ses mots, et j’ai bien peur qu’elle en soit capable, même si je ne vois vraiment pas comment elle y arriverait.
— Mais, il va se marier.
— Ce n’est qu’un détail Si j’avais lâché mon ex-femme le jour où je suis tombé amoureux de ta mère, les choses auraient été bien …
Je suis partie en courant sans écouter la fin de la phrase de mon père, m’obligeant à relever la robe qui m’empêchait d’aller aussi vite que je le voulais. Il commençait à démarrer la moto, j’ai accéléré autant que je pouvais. Et je suis arrivée juste à temps, totalement essoufflée :
— Neven, attends s’il te plait J’aimerais qu’on discute un peu plus.
— J’en ai envie aussi, mais c’est l’enterrement de Pauline On se fera déranger tout le temps.
— Alors, chez elle. En plus c’est sur ton chemin. Je te rejoins tout de suite.
— Ok, on se retrouve là-bas.
J’ai ainsi couru dans l’autre sens, en direction de mon père
— Papa, donne-moi les clés de la voiture et de la maison Dépêche-toi !
— Tiens Remets correctement ta robe, elle ne cache plus rien
— Ce n’est pas grave, je n’ai pas le temps de toute façon.
Lorsque je suis arrivée à la maison de Pauline, il avait déjà garé sa moto, retiré son casque et était au téléphone. Même si je n’avais pas envie d’écouter, j’entendais ce qu’il disait. Il me regardait tout en parlant. Je comprenais qu’il s’engueulait avec sa future femme parce qu’il n’était pas encore rentré. Il l’envoya chier : "je partirai lorsque je le déciderai et tu n’as pas ton mot à dire sur le sujet. Tu sais très bien à quel point Pauline était importante pour moi !". Il s’avança en même temps vers moi, puis passa une main dans mes cheveux pour remettre en place une mèche. Il raccrocha enfin son téléphone alors que j’entendais la fille continuer à crier à l’autre bout du fil
— Petit mensonge ?
— Pas vraiment. Il parait que tu es son clone, non ?
— En tout cas, elle semble très gentille ta future femme. J’ai hâte de ne pas la rencontrer.
— Elle est toujours comme ça lorsqu’elle est stressée, et en ce moment ça n’arrête pas… elle veut tellement que tout soit parfait pour "le plus beau jour de sa vie" ; elle veut diriger tout le monde et tout… elle me gonfle…
— Je vois que c’est le grand amour.
— Elle est moins pire que d’autres que j’ai connues… Et toi, tu réagis toujours de la même façon lorsque tu stresses ?
— Oui.
Il se recula un peu, observa avec un petit sourire ma poitrine dont les tétons pointaient énormément
— Tu es drôlement stressée alors.
— Non, pas du tout.
— … Tu as froid ?
— Non plus, il ne te reste plus qu’une possibilité… Et si on finissait notre discussion dans la maison ? Tu avais vu tous les aménagements qui ont été fait dans le grenier ? C’est là que je dors cette semaine.
— Je veux bien voir… Fais chier, elle rappelle…
— Et si tu ne décroches pas ?
— Elle réessayera toutes les minutes jusqu’à ce que je décroche.
— Tu pourrais l’éteindre.
— … Je veux juste vérifier un truc avant.
Il passa une main dans ma nuque pour m’attirer à lui et il m’embrassa… Ça m’électrisa instantanément, mon envie de lui grimpa exponentiellement. Pas besoin qu’on me frappe comme j’en ai d’habitude besoin pour me mettre dans tous mes états : j’étais excitée comme une folle. Les anciens sentiments que j’avais pour lui – il y a de cela bien trop longtemps maintenant – revinrent aussitôt. Il me lâcha après quelques secondes. Il était clair pour moi que je ne le laisserai pas repartir sans qu’on fasse l’amour, même si ça devait être la dernière fois de notre vie. Tentant de me remettre de mes émotions, je lui ai demandé
— Dernier bisou d’adieu ?
— Pas exactement.
— Si c’était pour être certain que tu me plais toujours, sache que…
— Non, pour me remémorer à quel point c’est bon…
Son téléphone sonna à nouveau, il décrocha aussitôt, toujours en gardant ses yeux fixés sur les miens. Ça hurlait à l’autre bout du fil. Et un moment, il put enfin parler, d’un ton direct et précis : "Il n’y aura pas de mariage ! Tu dégages de chez mes parents, tu récupères tout ton bordel, et n’oublie pas ta famille trop envahissante et bruyante !", il raccrocha alors et éteignit son téléphone.
Bien plus tard, dans le grenier, alors que nous entendions du bruit en bas, la cérémonie étant maintenant terminée, Laura était montée voir si nous étions bien là. Elle fut alors la première au courant de l’annulation du mariage et en fut ravie. Nus l’un contre l’autre, moi allongée sur lui et lui me serrant fortement dans les bras, j’ai demandé à Neven :
— Ce n’est pas trop tard pour annuler le traiteur, la salle et tout ?
— Je peux, mais je vais tout de même payer plein pot. Ça m’étonnerait qu’elle participe financièrement… Mais, j’ai une autre idée. Et si je n’annulais rien mais qu’à la place d’un mariage ça devienne une célébration pour Pauline ? Tu crois que ta famille serait d’accord ?
— Je ne sais pas, mais j’aime beaucoup l’idée. On devrait s’habiller pour aller rejoindre les autres maintenant. Tu veux que je remette la robe ?
— Non, je n’ai pas envie que tu l’abîme, j’espère te voir dedans samedi.
— J’imagine la tête de ta mère. Ça va lui faire un choc de nous revoir ensemble. Comment elle me surnommait déjà ?
— "chatte en chaleur"… Elle s’y fera. De toute façon, elle n’a jamais aimé mes petites copines.
Ainsi se termine l’histoire de ma grand-mère. Même si tout n’a pas été dit, il s’agit des éléments les plus importants de sa vie, et finalement de la mienne. Je la sais heureuse pour l’éternité : elle a enfin retrouvé son amour qui l’a attendue durant toutes ces années. Et grâce à elle, j’ai pu vivre les meilleurs moments de ma vie avec le mien.
Mais aujourd’hui, je suis à nouveau en deuil. Après ma mère, puis mon père, Neven m’a quittée. Je désire ardemment être la suivante. Mais pour le moment, je pleure, soutenue par nos trois fils. De nos sept petits-enfants, l’unique fille, la petite dernière qui vient de fêter ses dix-huit ans, est la seule présente. Elle connait tout de l’histoire de la famille ; je la lui ai racontée sans aucune honte, sans omettre le moindre détail. Il est temps pour elle que je lui offre cette robe sur laquelle elle lorgne depuis si longtemps : celle de ma grand-mère, celle de son mariage, celle qui était si transparente qu’elle montrait sans pudeur le fond de notre âme et celle des autres.
Ma chère petite fille, personne d’autre que toi ne mérite autant cet héritage. Prends-en soin, et ne pleure pas ta vieille grand-mère lorsque mon tour arrivera. Je t’aime ma chérie, je t’aime mon petit clone. Tu portes si bien ton prénom, ma petite Pauline.