Je me suis donc levé et, prenant mon manteau, me suis approché de la psychanalyste qui m’attendait debout et me tendait la main pour que je lui la serre.
Sa main était fine et ses doigts longs, ils se finissaient par de longs ongles vernis en blancs. Sa poigne se voulait stricte et affirmée, mais je sentais bien que la force de cette main de femme était tout de même bien limitée.
La psy s’était ensuite retournée et avait marché dans le couloir, laissant des perles de parfum s’évaporer de son cou pour venir se figer dans l’air derrière elle, perles que je humais en la suivant.
Je n’avais pas pu m’empêcher de fixer mon regard sur son bassin, sa chute de reins et ses fesses qui ondulaient en suivant la mesure cadencée de ses talons qui frappaient le sol.
Nous arrivâmes devant sa porte restée ouverte après le départ de sa précédente patiente, et, dépassant le seuil d’un pas, elle se retourna, alors que je relevais à peine les yeux de son fessier galbé dans sa robe moulante. J’eus le doute et le sentiment coupable d’avoir été surpris, et je pense que ce doute se lut dans mon regard lorsque je croisai le sien. Mais elle ne releva rien.
Tendant son bras vers l’intérieur de la pièce, elle m’invita à entrer. Je découvris alors une pièce de taille moyenne, éclairée par une unique fenêtre à carreaux, qui faisait face à la porte.
La fenêtre donnait sur une cour intérieure très mal entretenue, avec une végétation en friche, composée de hautes herbes verdoyantes et de buissons épars qui semblaient ne pas avoir été taillés depuis des lustres. J’avais en moi la certitude que personne n’allait jamais dans cette cour, inaccessible de l’extérieur, car totalement cerclée par un mur de parpaings gris sans crépit, qui cachait vis-à-vis, ce n’était certainement pas le personnel de ce cabinet qui allait enfiler des gants de jardinage et s’attaquer à la coupe des arbustes…
Alors que j’observais à travers la fenêtre, je fus tiré de mes pensées par la fermeture de la porte derrière moi.
Je me retournai.
A ma gauche se trouvait un large bureau en bois clair sur lequel se trouvaient diverses affaires, un pot de stylos, et un écran d’ordinateur. Autour du bureau étaient disposés d’un côté un immense siège à roulettes, en cuir noir, avec deux accoudoirs assez larges pour des cuisses, fauteuil semblable à celui de tous les médecins, et de l’autre, deux sièges gris identiques, bas, aux dossiers trop courts pour n’importe quel dos adulte.
Dans le prolongement du bureau se trouvaient deux sofas qui se faisaient face, l’un faisait rond-point au centre de la pièce, l’autre était adossé au mur, en dessous d’un tableau style pop art, représentant un tigre et son dresseur, tableau qui était à mon goût particulièrement hideux.
Le mur opposé était quant à lui totalement caché par une large bibliothèque remplie presque autant d’objets de décorations que de livres.
La psychologue s’approcha du bureau et m’enjoint à m’asseoir.
Asseyez-vous, je vous en prie.
Le genre de phrase qu’on entend généralement soit en entretien d’embauche, juste avant de devoir se vendre pour être ensuite jugé, soit chez le docteur, quand on y va avec un problème, une maladie, une tare, soit, au pire des cas, quand on est convoqué dans le bureau de son patron. En somme, des situations où on ne maîtrise pas les choses, où on est à la merci de la personne qui nous reçoit.
Le genre de situations que je déteste.
Je fis le choix de m’asseoir sur le siège de gauche, de façon à ne pas être caché derrière l’écran d’ordinateur. L’assise était si basse que j’avais presque l’impression d’être en contrebas du bureau, et surtout du siège de la docteur, sans doute réglé au maximum de sa hauteur, sur lequel elle venait de s’asseoir.
Un sentiment d’infériorité et de gène commençait à m’envahir. Je repensais à la raison pour laquelle j’étais là, ma coloc qui m’avait surpris en pleine masturbation, son obsession pour ce qui était « normal », « pas normal », jusqu’à finir par me dire que je devais aller voir un psy pour me faire soigner, car je n’étais, selon elle, « pas normal ». C’était surtout pour le fait de devoir aller voir un psy qui n’était pas normal. J’entrais dans la catégorie de ceux qui « voyaient quelqu’un », je faisais tamponner ma carte de membre du club des détraqués, et l’idée ne me plaisait vraiment pas. Je n’étais vraiment pas à l’aise.
D’un autre côté, mon calcul avait été vite fait, Lucie m’avait averti que si je ne suivais pas rigoureusement cette thérapie, j’étais bon pour aller voir ailleurs. J’avais vite compris que me trouver un autre appart’ au plein milieu de l’année scolaire n’était pas le bon plan du siècle et que ça risquait de me revenir éminemment plus cher que de payer quelques consultations chez le psy. En somme, même si l’idée de devoir rester là à raconter ma vie ne me plaisait pas, j’en étais bien obligé.
Je n’aurais qu’à en rajouter un peu, m’étais-je dit, et les séances passeront vite.
Alors, qu’est-ce qui vous a amené à faire le choix de consulter un psychothérapeute ?
Eh bien je, euh, je… j’ai… »
Finalement, c’était plus facile à dire qu’à faire, et j’avais beau réfléchir ce que je pouvais dire, ça ne sortait pas. Je n’avais, de mon point de vue, vraiment rien à raconter.
C’est difficile d’en parler.
Bon, sachez tout d’abord qu’en aucun cas, je ne vais vous juger, je suis ici pour vous écouter, sur un plan strictement professionnel, et que ce que vous allez me dire restera ici et en aucun cas ne pourra être divulgué à qui que ce soit, c’est avant tout mon métier, et vous n’êtes pas le premier que je vais écouter, j’en ai vu d’autre, vous n’avez vraiment pas de quoi vous en faire.
…
Cette mise en confiance ne m’aidait pas vraiment, non pas qu’elle soit mal venue, mais pour être honnête, je n’avais pas écouté la fin de sa phrase.
Mon esprit s’étant détourné de la conversation en se demandant si elle allait réellement m’écouter sur un plan strictement professionnel comme elle le disait, pouvait-elle se détacher humainement des histoires qu’on lui raconte ou ne prenait-elle pas en réalité du plaisir à écouter les histoires de ses patients ? Avait-elle voulu faire ça, car elle pourrait écouter des histoires de cul ? Etait-ce sa fantasmagorie qui avait motivé son parcours étudiant ? Elle était peut-être nymphomane ? Rien n’était impossible à ce stade.
Mes divagations d’esprit furent coupées net lorsque voyant que je ne me mettais pas à table, elle me relança par une question :
Rencontrez-vous des problèmes d’ordre sentimental, relationnel ou sexuel dans votre vie, au sujet desquels vous souhaiteriez vous entretenir avec moi ?
Eh bien, non, pas vraiment.
Je me mordis la langue après avoir dit ça. Je savais que je devais me mettre à parler si je voulais qu’elle me garde, au moins quelques séances, et si je voulais éviter de provoquer à nouveau le froncement de sourcils et le regard réprobateur qu’elle venait de poser sur moi.
De toute façon, l’honneur était déjà amoché, le cabinet était spécialisé dans les problèmes de sexothérapie, et les détraqués sexuels représentaient la totalité du cabinet de cette médecin, et elle le savait. Surtout que j’avais dit à la secrétaire au téléphone, que je souffrais d’addiction sexuelle pour justifier ma prise de rendez-vous, et cela devait bien être marqué quelque part sur une fiche de suivi patient ou que sais-je, qui avait dû être transmis par la secrétaire.
D’ailleurs en arrivant, j’avais été bien content de ne pas la croiser celle-là.
Bref, c’était déjà foutu.
Alors il fallait que j’y aille, coûte que coûte, que je m’ouvre et accepte de me livrer :
Enfin… si, j’ai l’impression de trop penser au sexe.
Ces mots étaient sortis de ma bouche presque à voix basse, du fond de ma gorge, ils étaient remontés raclant les bords, faisant vibrer mes lèvres en sortant, comme on avoue une bêtise à ses parents.
Mais d’un autre côté, j’étais content de l’avoir dit, cela m’avait plu de dire cette phrase à la magnifique femme qui me faisait face, surtout que son visage avait semblé soudain s’apaiser après m’avoir entendu la prononcer.
La psy prit un stylo qu’elle vint faire tapoter au rebord de la table comme pour faire descendre l’encre, puis vint le faire reposer contre sa cuisse droite.
Pourquoi pensez-vous que vous pensez trop au sexe ? Cela vous gêne-t-il au quotidien ?
Bah oui, par exemple parfois j’ai tellement envie que j’arrive plus à me concentrer, à réfléchir, je pense qu’à ça et j’arrive pas à réviser. Et si je rentre dans le métro et qu’il y a une fille, par exemple avec un beau décolleté, je peux pas m’empêcher de regarder, d’être… excité, et même d’avoir envie de me faire du bien vous voyez, et à cause de ça je me sens mal, j’ai honte de moi. La gêne et le sentiment d’humiliation disparaissaient à mesure que je parlais. Je commençais à prendre goût à m’ouvrir et à me découvrir, je devenais bavard, avide de conter mes pensées, cela me faisait du bien. Mon cerveau qui habituellement fourmillait de questions, d’interrogations, de honte, et d’interdits, semblait se libérer ici à cet instant, et vouloir déverser tout son contenu comme un vase libère l’eau qu’il contient en se brisant au sol.
Vous savez que vous n’êtes pas le seul à avoir ce genre de pensées et d’envies, de moments d’excitation, sont tout à fait naturels, pourquoi ressentez vous de la honte à avoir ce genre de pensées ?
En fait, ce n’est pas vraiment les pensées en elle-même qui me gênent, mais plus, ce que j’en fais après.
C’est-à-dire.
Bah, ça m’est déjà arrivé de me sentir tellement excité et d’avoir tellement envie de me masturber que je le fasse en dehors de chez moi. Je vois. Racontez une des expériences où cela est arrivé et ce que cela a provoqué comme réaction en vous.
Mais je vais devoir rentrer dans le détail ou… ?
Ecoutez, j’ai l’habitude d’entendre des témoignages de patients, parlez librement, plus vous parlerez librement, plus nous avancerons rapidement et profondément dans la thérapie.
D’accord, bon, eh bien, c’était la semaine dernière, j’allais en cours, donc j’ai pris le métro, et dedans, il y avait une fille, brune, elle avait un legging et un haut bien moulant en coton noir, avec un énorme décolleté à lacet, je sais pas si vous voyez le genre, ça offre une vue vraiment perçante, et ça lui moulait le haut du corps et franchement elle faisait un peu vulgaire, mais elle était tellement excitante. Quand je suis arrivé à la fac, j’étais tellement excité que j’ai pas pu me retenir, je suis allé dans des toilettes d’un bâtiment, me suis enfermé dans une cabine et me suis masturbé. Mais après, j’ai eu tellement honte, après, je me sentais minable. »
La psychologue avait mis le stylo dans sa bouche et commençait à le mordiller, sa main gauche était cachée par-dessous le bureau et devait être posé au contact d’une de ses cuisses. Elle me dit :
Hmm, je vois. Vous vous êtes masturbé. Qu’avez-vous fait après ?
Bah… je suis allé en cours.
Ah oui, d’accord, hmm, évidemment, non je veux dire, euh… avez-vous un autre exemple qui illustrerait une honte consécutive à une masturbation ?
Eh bien, j’en ai plusieurs en fait.
Bon, racontez l’un des plus marquants.
Eh bien, c’était un été, au début des vacances, j’étais en vacances chez moi, au bord de la mer, c’était un soir et je me baladais sur la plage. Oui…, continuez…»
J’avais remarqué que lorsque je commençais mes histoires, je détournais le regard et le tournait vers quelque chose d’insignifiant, comme le parquet ou le coté du bureau, afin de ne pas être perturbé par ce qui pouvait venir interférer dans ma vision, et pouvoir me plonger au maximum dans ma mémoire.
A l’inverse, la psychologue, elle, plongeait son regard vers moi, me fixant, et s’était même accoudée au bureau comme pour s’approcher de mes lèvres et mieux suivre l’histoire qu’elles contaient. Elle avait d’ailleurs joint ses deux mains au stylo qu’elle tenait et qu’elle dégustait avec de plus en plus saveur visiblement.
« Donc si vous voulez, chez moi, c’est pas vraiment la plage de la mer genre, c’est plus une sorte de lac, vous voyez, mais entouré d’une plage, et autour de la plage, y a plein de petits bosquets et d’arbres, bien plus que sur un bord de mer.
Bref, je marchais, et j’ai entendu des voix et des rires. Au début, je pensais que c’était juste des gens qui faisaient un pique-nique du soir ou quoi, ou un volley, mais ça me faisait marrer d’aller voir sans me faire repérer. J’aime bien faire ça, marcher à pas furtifs, me cacher dans un bosquet, et observer sans être vu, sans qu’on sache que j’existe. Je devais être apache dans une vie antérieure, sérieux.
Enfin bref, donc, j’approche, et j’entends que les voix c’est plus des voix de jeunes, y a notamment une fille qui rigole à gorge déployée. Je m’approche, je trouve une sorte de dune avec des fourrés, et je me suis caché là, j’étais juste un peu au-dessus d’eux, ils étaient totalement obnubilés par leurs occupations et étaient incapables de me remarquer.
C’était bien des jeunes, ils devaient avoir 19 ou 20 ans, comme moi. Mais je les connaissais pas, ils étaient pas de la région, ils devaient venir d’un camp de vacances du coin. Y avait une fille, blonde, fine, belle, vraiment mignonne. Elle était en maillot et avec un petit short blanc. Et y avait deux mecs avec elles, tous les deux torses nus, deux bruns, peut-être arabes, mais pas sûr. Enfin bref. Au début, ils rigolaient, ils se poussaient. Puis à un moment, la fille s’est allongée sur le sable et l’un des mecs s’est approché et s’est allongé à côté d’elle. Puis il a commencé à lui toucher les seins par-dessus le maillot, comme ça, sans prévenir. Et elle se laissait faire. J’hallucinais. L’autre mec qui était avec eux aussi d’ailleurs. Ça prouve bien qu’ils devaient pas beaucoup se connaître.
Puis le mec qui la pelotait a commencé à l’embrasser, et en même temps a remonté le haut de la fille d’une main, lui exposant ses petits seins avec deux jolies aréoles bien rondes et biens roses. Puis a descendu sa main vers le short de la fille, et il lui a caressé là…, vous savez, entre les cuisses quoi, par-dessus le short, mais quand même. Et l’autre mec qui était resté planté debout comme un con s’est approché. Et au début, il s’est juste mis à genoux à côté pour regarder, il me cachait même un peu la vue, et il a commencé timidement à toucher les seins de la fille à son tour, comme pour voir s’il avait le droit de participer, et de l’autre main, il a commencé à toucher sa queue par-dessus son short. »
Je levai alors les yeux vers la psy qui ne disait absolument rien. Elle m’écoutait passionnément et bien que je m’épanchais en détails inutiles et extérieurs à ma situation, elle ne se montrait nullement contrariée ou agacée par mes digressions. Bien au contraire, l’histoire semblait la captiver au plus haut point.
« La fille a mis sa main sur l’endroit du short du premier mec, l’endroit de son sexe, et l’a massé, ils ont commencé tous les deux à sortir leurs queues, et elle les a sucés l’un après l’autre, branlant l’un pendant qu’elle suçait l’autre, puis l’inverse. C’était surréel. Puis les mecs lui ont enlevé son short et son maillot, elle était si belle, son corps était si pur, si innocent. Et alors qu’elle suçait toujours l’un des deux, l’autre est allé entre ses cuisses, les a écartées, les a tirées vers lui, et baissant totalement son short sur ses chevilles, il a mis sa queue dans la chatte de la fille, et l’y a poussé. Elle a sorti la queue de l’autre mec qui était de sa bouche et a poussé un cri de plaisir, j’ai entendu le râle aussi distinctement que s’il avait été prononcé à mon oreille. Elle semblait être au paradis.
Ils l’ont pris longtemps tour à tour, plusieurs minutes, sur le dos, sur le ventre, à quatre pattes, ils y sont tous les deux passés. Pendant qu’elle se faisait prendre par l’un, l’autre se faisait soit branler, soit sucer. Elle était toute rouge, elle criait, elle lançait des mots crus, genre "baisez-moi", et eux, ils l’insultaient carrément, de grosse pute, que c’était une salope, qu’elle aimait se faire bien baiser, etc., mais ça se voyait qu’elle adorait être prise comme ça par deux mecs, empalés de chaque côté. Comme une chienne en fait.
Et moi je trouvais ça dégoûtant en fait, en un sens.
Mais le problème, c’est que j’ai pas pu m’empêcher de me masturber. Parce que j’étais tellement excité par cette salope. Mais je la respectais plus quoi, alors que je la trouvais tellement mignonne.
Honnêtement, franchement, je trouvais la scène dégueulasse. Je sais pas, mais moi, si une fille me plaît, je serais dégoûté qu’elle suce un autre mec ou quoi, ça me tuerait. Je peux pas avoir d’envies ou de désir pour une fille comme ça, je peux pas la respecter. Mais pourtant, j’étais tellement excité, je les enviais tellement. C’était presque une torture à quel point j’aurais eu envie d’être l’un d’eux. Je vais vous dire honnêtement, j’avais envie de la baiser.
En fait c’est ça le problème, c’est ça ma honte, je suis excité par des trucs qui d’un autre coté, me dégoûtent, des trucs dont j’ai pas envie qu’ils m’excitent, vous voyez ce que je veux dire ?
C’est comme la fille du métro, je la trouvais vulgaire et tout, mais pourtant, je bandais un max.
C’est pour ça que j’ai honte de moi, dans certaines situations, j’aurais envie que ma raison, ma morale, elles l’emportent sur mes envies, mais à chaque fois que je suis dans une situation où j’ai pas envie d’être excité, j’ai envie de me respecter, d’être normal, bah je bande de fou. Et c’est pour ça que je me sens mal. »
« Hm, je vois… il ne faut pas avoir honte de vos érections, de votre excitation, des moments où elle se déclenche, il faut les comprendre, ne pas vouloir les refouler. Y a-t-il un autre moment où vous avez eu une érection alors que ce n’était a priori pas propice selon vous ? »
Eh bien… oui. Là, maintenant.