C’est pénible d’avoir autant une femme dans la tête, d’être hanté par sa vision, sa voix, son être, au point d’y penser tout le temps ; ça en deviendrait pesant, comme une obsession poisseuse qui vous colle à la peau et ne vous lâche pas.
La nuit en m’endormant je la voyais – l’imaginais – en porte-jarretelle ou en nuisette, sur des hauts talons, avec les bijoux en or qui habillaient ses doigts. Je rêvais d’elle revêtue uniquement d’un collant gainant ses fesses nues, sa petite chatte, ses cuisses, ses jambes galbées, haut perchée sur ses escarpins rouges : cette tenue donnait d’elle une impression de dénuement, de fragilité et d’érotisme intense.
J’avais une terrible envie d’entendre à nouveau sa voix, de revoir sa bouche, ses petites mains fines, ses doigts racés et gracieux, j’avais une brûlante envie de sa présence, un besoin presque douloureux de revoir ses beaux yeux que les verres de ses sages lunettes agrandissaient, et surtout de les voir plantés dans les miens, s’adressant à moi ; qu’importe ce qu’elle aurait pu me raconter : elle aurait pu me débiter le bulletin météo, les cours de la bourse, l’annuaire du début jusqu’à la fin, ça m’aurait provoqué un tel pic d’endorphine !
Je suis sûr que si Marcia1 avait débarqué chez moi durant ces jours-là, je lui aurais sauté dessus dès son arrivée, je l’aurais foutue à poil dans mon hall d’entrée, et je l’aurais tringlée sur place, debout, en pensant à cette jolie femme. D’autant que Marcia avait à peu près le même gabarit, d’où ma pulsion.
Mais la semaine qui suivit cette visite fut des plus sages et des plus calmes pour moi : aucune de mes maîtresses (mes sex friends, comme on dit maintenant) ne vint chez moi, et c’est tant mieux pour elle (ou plutôt tant pis), parce que, qui que ce fut, je l’aurais tellement trombinée qu’elle n’aurait pas pu s’asseoir pendant un mois !
Cette semaine passa donc, mais contrairement à sa promesse, je ne reçus pas de devis.
C’est drôle mais je n’en étais pas trop contrarié ; c’était plutôt logique en fait, puisque ça allait être un prétexte pour que je prenne le téléphone et entende sa voix (qui allait me remuer profondément), voire même pour que je me déplace, c’est-à-dire faire à pied les quelques centaines de mètres jusqu’à son entreprise pour la relancer.
Néanmoins, cette idée me paraissait à écarter, car dans ma tête, cette démarche aurait pu sembler impolie et je ne voulais surtout pas apparaître aux yeux de ma nouvelle et jolie petite égérie comme un homme pressé voire exigeant.
J’étais capable me tenir et de dissimuler mon attirance extrême pour elle, mais je dois dire que je ressentais une espèce d’avidité jamais connue jusqu’alors, et par moments, je trouvais ça presque inquiétant ; je me faisais un peu peur, me demandant si mon activité sexuelle trop riche et trop intense de ces derniers mois, avec ces femelles mûres et peu farouches n’était pas en train de devenir une addiction.
Et si ça n’était pas lié à ma libido à proprement parler, ne s’agissait-il pas d’un donjuanisme tardif qui m’avait pris comme un démon de midi, un besoin irrépressible, incontrôlable et sans limite, de séduire, de tomber les femmes quinquagénaires et plus ?
N’était-ce pas une sorte de vice qui me prenait, un besoin obsessionnel (plus fort que le désir) de vouloir mettre dans mon lit toutes les petites femmes coquettes, proprettes et un tantinet séduisantes de cette classe d’âge ?
Quand j’essayais de garder la tête froide et de raisonner, je me demandais :
"Qu’est-ce qui m’excite finalement chez elle ? Est-ce son statut social, son image de petite femme sage et rangée, cette femme sans doute déjà grand-mère qui avait probablement maintenant une libido un peu en sommeil ? Ou bien est-ce parce cette femme paraît inaccessible ?"
Je me disais que j’avais sans doute trop lu Maupassant, mon auteur favori, et que subrepticement, les modèles tel que Bel Ami remontaient des profondeurs de mon esprit, là où je les avais enfouis des années durant, et revenaient à ma conscience ; mais l’idée, objectivement, me paraissait ridicule.
Je n’en étais quand même pas arrivé au même point que ces séducteurs invétérés trop sûrs d’eux qui se mettent au défi de conquérir n’importe quelle femme du moment qu’ils l’ont décidé.
Je n’avais aucune volonté réelle de la séduire, ça n’était pas le moins du monde un but que je m’étais fixé, et pour tout dire je ne me faisais aucune illusion sur l’issue de cette relation – toute commerciale – avec cette petite femme.
Je ne faisais que me laisser bercer par l’obsession d’elle, obsession à laquelle il m’était absolument impossible de résister (avais-je envie d’y résister d’ailleurs ?) et je ne savais pas où elle allait me conduire.
Je n’avais pas l’intention de prendre des risques – comme celui de me couvrir de ridicule par exemple, ou de passer pour un macaque, surtout vu mon statut professionnel que cette dame finirait tôt ou tard par connaître – ou de me faire jeter, voire de déclencher un scandale.
Je n’en étais tout bêtement qu’au même point qu’un collégien amoureux (celui que j’avais été ?) qui se sent addict d’une personne de l’autre sexe, et nourrit son addiction avec tout ce qui peut la nourrir : sa voix, son parfum, la vue de ses yeux, ses paroles… autant de choses dérisoires mais qui lui évitent la crise de manque.
Par ailleurs, cette obsession sélective (monogyne pour être précis, au risque de faire un néologisme) m’inquiétait également et perturbait ma tranquillité affective et sexuelle qui m’avait permis jusque-là de vivre sereinement.
Au pire, me disais-je, si le mal s’aggrave, j’essaierais de me distraire en tentant de m’échapper avec une amie auprès de qui je me sentais bien, tant affectivement que sexuellement, car la distraction purement sexuelle me semblait d’avance vouée à l’échec.
Car je m’étais vite rendu compte que si je pensais à Marcia, à ma voisine d’en-face, à ma petite copine sexagénaire que j’avais initiée aux jeux s.m. (et dont j’avais fermement l’intention de poursuivre l’initiation et le perfectionnement), mon esprit déviait immanquablement sur cette petite dame, et c’est elle qu’il mettait en scène dans ma tête, dans mes situations salaces préférées, mes jeux sexuels favoris, mes étreintes torrides de prédilection.
C’est donc avec le cœur battant, je l’avoue (j’en avais presque honte) que je décrochai mon téléphone pour appeler l’entreprise.
On répondit immédiatement. Evidemment c’était elle. Sa voix. Harmonieuse, belle, parfaite, tellement parfaite. "Concentre-toi, imbécile, concentre-toi sur ce que tu dois dire, et reste le plus naturel possible. Et évite de rire bêtement. Joue plutôt le playboy détaché, l’homme zen qui n’a plus rien à prouver."
J’allai droit au but, restant cependant extrêmement poli et prévenant, commençant par "Vous allez bien ?", une sollicitude bien placée et extrêmement respectueuse, presque déférente (c’est pourtant moi le client… mais cette femme ne court pas après, elle a réussi, elle n’a pas à se vendre et à courir derrière le chaland… ce qui serait indigne d’elle, de sa classe… Mais reprends-toi, bon sang !)
Cette manière de poser cette question par pur savoir-vivre, j’avoue quand même en avoir usé et abusé maintes et maintes fois, mais sincèrement pas toujours pour être poli, mais pour donner une bonne image de moi et aussi – et surtout – pour obliger mon interlocuteur (presque toujours une interlocutrice d’ailleurs) à faire de même et parfois tout particulièrement quand je sais que j’ai affaire à un ou une rustre mal dégrossi(e) !
Mais là, le but n’était pas le même : je voulais – démarche puérile et vouée à l’échec – tenter de faire passer un tout petit message : "je m’intéresse à vous, je me soucie sincèrement de vous".
Je referme cette parenthèse : j’abordai avec tact et douceur la question de mon devis toujours pas reçu, ne voulant ni la brusquer, ni la blesser.
Elle se confondit en excuses. Oui en effet, elle ne me l’avait pas envoyé. Elle l’avait cependant donné à réaliser, mais elle n’avait pas surveillé la suite. Elle me fit patienter car elle allait s’enquérir auprès de ses employés de son état d’avancement.
Elle me reprit au téléphone moins d’une demi-minute plus tard. Elle s’excusa encore, mais cette fois à la place de ceux qui n’avaient pas fait ce qu’elle avait demandé.
Elle promit, elle allait le faire exécuter dans les deux jours, au grand maximum. Et, comme une manière de se faire pardonner et de rattraper ce petit manquement, elle proposait de venir me l’apporter en mains propres.
Mon Dieu. Le remède était pire que le mal. Je fus pris de palpitations, d’une crise de rougissement. Heureusement qu’elle n’était pas en face de moi.
" – Quand pourrais-je passer vous le déposer ?" me demanda-t-elle avec sa voix et ses manières exquises.
Je fis un effort pour ne pas bégayer, pour m’exprimer clairement et sans trembler :
" – Eh bien, euh… Je serai chez moi vendredi après-midi… si vous voulez… passer.
— Pas de problème. Je viendrai vers quatorze heures, comme l’autre fois. Et veuillez encore m’excuser.
— Oh il n’y a pas de mal. C’est vraiment très gentil de vous déplacer.
— Mais non, c’est normal. A vendredi."
Je l’accueillis à ma porte, le vendredi à l’heure dite. Je m’étais sapé élégamment – pas question que je la reçoive en pantoufles – et m’étais mis mon eau de toilette au cuir de Russie. Si j’avais un restant de sex appeal, je tenais à essayer de l’amplifier au maximum en utilisant tous les outils en ma possession.
S’il y avait eu un parfum masculin ou un déo qui s’était appelé "piège à femelles" j’en aurais acheté un litre et je m’en serais aspergé comme il faut.
Dès que je la vis (que je la revis, je devrais dire), j’eus l’impression de revivre, c’était comme un ballon d’oxygène qu’on m’envoyait.
Et en même temps, au même instant, me traversa comme une pensée fulgurante, une conviction fatale :
je me dis immédiatement que si je ne baisais pas cette jolie petite femme j’en ferais une maladie, une crise d’urticaire. C’était au-dessus de moi, quelque chose qui me dominait.
Dès qu’elle me se mit à me parler j’eus des images hallucinées qui revenaient danser dans ma tête, des images graveleuses et immorales à faire rougir un corps de garde : je voyais sa petite chatte, sa petite fente offerte et ma bouche entre ses cuisses, je me voyais lui tenir les jambes en l’air et bien écartées, ses petits pieds enfermés dans ses escarpins rouges, je la voyais me chevauchant, son corps menu un peu raide comme s’il cherchait à garder un semblant de dignité et de tenue, tandis que je la limais avec violence, mes mains emprisonnant ses petits seins…
Je me demandais si ses pieds avaient au bout des orteils le même vernis rouge écarlate et soigné sur les ongles que sur ses mains.
Bref, je dus faire un effort démesuré pour me concentrer et entendre ce qu’elle me disait.
Elle avait un sourire beau et doux ; c’était la première fois que je la voyais sourire si franchement, me disais-je. Soit elle se détendait et abandonnait un peu son maintien trop strict, soit je lui plaisais (enfin, il ne fallait pas trop rêver…)
Chassant ces folles images de ma tête, je lui rendis son sourire, en prenant dans mon registre des sourires le plus séducteur que je trouvai tandis que je l’invitai à entrer.
Je lui proposai un café qu’elle accepta, et la fis asseoir.
Je trouvai l’ambiance plus détendue que la première fois. Elle semblait un peu moins guindée. On se connaissait désormais. L’aurais-je un peu apprivoisée ?
Néanmoins, elle en vint immédiatement à notre sujet : elle me sortit le devis, me le lut, le détailla, me le commenta.
Pour arriver à la douloureuse conclusion, le chiffre tout au bas. Aïe, il y en avait quand-même pour 11 700 , soit plus encore que sa première estimation.
Elle s’excusa, elle avait sous-estimé son évaluation. Elle n’avait pas pensé à tout. Elle était surtout une comptable, et même, en gros, la responsable administrative et financière, mais pas une technicienne ni un ouvrier d’exécution.
Je ne lui en voulais pas, je comprenais. (Bien qu’à ce moment, me traversa l’image diabolique d’elle couchée à plat ventre en travers de mes genoux, son pantalon et sa culotte baissée, et moi lui fessant son petit cul pour la punir… "Vade retro, Satanas, exorcisez-moi !")
Mais c’était une sacrée somme que j’allais devoir débourser. Et comme je commençais à en réaliser son importance, l’idée de ce que représentait cet argent que j’allais devoir trouver commençait à refroidir mes ardeurs érotiques.
J’avais espéré, sans me faire d’illusion et sans aller jusqu’à m’imaginer qu’on serait dans le bas de la fourchette, qu’on serait peut-être au milieu. Mais là…
Je restai un peu silencieux, pensif, réfléchissant.
Elle brisa ce silence :
" – Bon, je me suis trompée, et j’en suis désolée. Je suis la patronne et je pourrai vous faire une petite remise si vous nous choisissez. Je pourrais vous faire 5 %… Et en faisant un effort, peut-être même m’approcher de la limite haute de ce que je vous avais dit. Je ne vous le garantis pas, il me faudra en discuter avec mon mari, et ça n’est pas certain… mais j’essaierai, je suis un peu responsable de la situation…"
Je voyais en effet que son visage était transformé, et j’y lisais des marques de remords qui semblaient sincères, ce qui m’étonna. Elle n’était donc pas qu’une femme d’affaire et d’argent ? Y avait-il un cœur dans la poitrine de cette jolie petite femme devenue sans doute aisée grâce au travail de son mari et de ses ouvriers ?
" – Ecoutez", lui dis-je, "je ne vous en veux pas, et vous êtes charmante… " (j’insistai bien sur ces mots) "et j’apprécie votre offre, sincèrement, mais ça mérite réflexion.
— Je comprends. Et je comprendrais tout à fait que vous demandiez un autre devis, c’est normal.
— Oh ça n’est pas forcément la question… Ce sera peut-être aussi cher ailleurs. J’aimerais sincèrement vous faire travailler, j’ai confiance en vous, et j’apprécie votre professionnalisme et votre délicatesse. Mais je ne pensais pas… j’espérais, je veux dire… je ne pensais pas m’en tirer pour une somme pareille. Il va falloir que je prévoie un financement… Je n’ai pas tout cet argent devant moi…
— Bien entendu. Evidemment nous pouvons vous faire des facilités de paiement… Et puis, je suppose que vous devez en parler à votre dame, ces choses-là se décident à deux, je le sais bien…
— Je n’ai plus de femme, je suis veuf depuis plus d’un an, donc je prends seul mes décisions, je n’ai pas le choix.
— Oh je suis désolée, je ne savais pas.
— Ne le soyez pas, vous n’y êtes pour rien. Et puis, vous ne pouviez pas le savoir…
— Non, bien-sûr. Mon pauvre monsieur » (et elle posa sa main sur la mienne en un geste compatissant, ce qui déclencha comme une décharge électrique tout au fond de moi… Heureusement, j’eus le réflexe de couper l’alimentation), « je comprends que ça ne doit pas être facile d’entretenir une grande maison comme ça tout seul…
— Ça n’est pas un problème. Si je n’avais pas eu les moyens de le faire, je l’aurais vendue et j’aurais acheté plus petit. Mais j’aime cette maison, je m’y suis attaché, et son entretien, les travaux nécessaires ne me font pas peur. Etant seul à y vivre, je ne salis pas, je n’abîme pas ; je pars travailler le matin, je rentre le soir… Reste l’entretien à cause de l’usure : c’est une vieille maison.
— Oui en effet. »
J’avais pris son geste comme une petite victoire, en tout cas ça me donnait du baume au cœur. Sentir sa jolie petite main pleine de gros bijoux en or posée quelques secondes sur la mienne m’avait regonflé à bloc, j’avais eu l’impression de recevoir un ballon d’oxygène :
je relevais la tête, je retrouvais une belle assurance, un sentiment d’espérance inégalé, car je commençais à me dire que baiser cette jolie petite femme n’était peut-être pas finalement utopique, mais dans le domaine du possible, du réalisable, et pouvoir l’empaler sur ma queue était peut-être à ma portée.
D’autant qu’elle savait à présent que j’étais veuf et seul, et si jamais j’avais une petite chance de lui plaire, elle savait également que j’étais disponible et facilement accessible, même si elle ne savait pas ce qui se tramait dans ma tête. (On sait bien, cependant, que pour beaucoup de choses, et en particulier ces choses-là, les femmes ont comme un sixième sens.)
J’avais eu l’impression, dès le début, que je ne la laissais pas indifférente, même si je n’étais pas certains que ses manières et son amabilité fussent seulement purement commerciales, ou s’il y avait alors quelque chose de plus.
J’étais maintenant déterminé à le savoir, de toute façon, et je n’avais rien à perdre : qu’est-ce que je risquais ?
(A suivre…)
1 : lire : Réconfort et vieilles dentelles. Marcia.