Nous évoluons, Sylvie semble ravie, je suis sur un nuage. Il faut en descendre pour recevoir le bouquet des vainqueurs, les applaudissements de circonstances et deux gros bisous sur les joues dune cavalière
dont la voix douce me glisse
-Toi, tu ne perds rien pour attendre.
Au premier rang, Rose applaudit. Les amis et connaissances de Sylvie la félicitent et lembrassent. Modeste et souriante, elle tient fermement ma main et massocie à ce succès. Le photographe du journal local prend une magnifique photo au moment où nous nous regardons comblés de bonheur. Jai entendu çà et là que cest la beauté de la jeune femme qui a été primée. Je suis fier dêtre son servant.
A peine assis pour lever une coupe à notre succès, nous assistons à une bousculade. Cest à qui fera danser Sylvie.
-Paul, je te présente Roger, prof de math dans le lycée où jenseigne lallemand.
-Bonsoir Sylvie. Quel plaisir de te revoir. Tu as enfin décidé de sortir. Cétait navrant. Mais où est Gilles, il nous avait annoncé votre réconciliation? Vous deviez la fêter ici ce soir. Est-il malade?
-Bonsoir Juliette. Paul, voici lépouse de Roger. Il y a erreur, nous ne nous sommes pas remis ensemble. Permettez-moi de vous présenter mon fiancé Paul.
Juliette, Roger et quelques membres du cercle autour de notre table tombent des nues, hypocritement, ils nous ont vu danser, savent à quoi sen tenir. Le plus étonné cest moi. Je souris béatement à lannonce de ma promotion inattendue au rang de fiancé. Sylvie enchaîne:
-Ce soir nous célébrons nos fiançailles, vous voudrez me pardonner de ne pas danser avec vous, ma nuit est réservée à Paul, mon amour.
Incrédules ils scandent:
-Un bisou, un bisou, un bisou
Sylvie se lève, se tourne vers moi, me tend les bras. Il ny a pas à hésiter. Je me dresse et sous les applaudissements, en public, nous échangeons un baiser damoureux, le premier, un vrai, plein de la passion qui jusque là simposait de la retenue. Jamais je naurais osé le demander ou le voler. Fiancé réel ou fictif, je reçois sous les yeux des amis et du public ce baiser réel de Sylvie. Elle ne fait pas semblant, les plus suspicieux cette fois seront convaincus. Et pour me convaincre, lorsque nos lèvres se séparent, Sylvie me gratifie dun large sourire satisfait.
Le bal terminé, il faut rentrer.
-Heureux? Tu ne men veux pas davoir annoncé nos fiançailles? Je tai surpris, mais cétait lunique moyen de nous défaire de cette troupe parfois collante. Pardonne la surprise. Elle nétait pas préméditée.
-Merci de mavoir invité. Tu mas fait vivre une soirée magnifique. Jai dû faire beaucoup de jaloux: mais, cette annonce nétait donc quun stratagème? Alors excuse-moi de tavoir si amoureusement embrassée. Un moment je me suis pris à ton jeu, jy ai cru.
-Mais si tu le souhaites, tu peux y croire. Pour se fiancer, il faut être deux. Je ne tavais pas demandé ton avis, maintenant dis-moi, accepterais-tu de tengager avec moi. Je le souhaite et toi?
-Est-ce bien sûr? Ne te crois pas obligée par ta déclaration.
-Veux-tu entrer, jai préparé un repas froid, nous le partagerons. Et nous pourrons discuter tranquillement.
Nous sommes dans lentrée, porte fermée. Sylvie me tient par la main pour me faire gravir lescalier. Sur le palier elle se tourne vers moi, me fixe:
-Paul voudras-tu de moi pour épouse?
-Si tu veux de moi, jaccepte avec joie de tépouser.
Aussitôt Sylvie laisse éclater sa joie, métreint et moffre sa bouche pour notre second baiser. Sans témoin indiscret, cette fois. On peut imaginer la fougue qui nous pousse lun vers lautre, les élans amoureux de deux curs assoiffés de compréhension et daffection, de deux âmes avides despérance et les exigences sexuelles de deux jeunes corps laissés en friche pendant de longs mois, au moment où deux êtres se rencontrent, reconnaissent quils sont faits lun pour lautre et décident de sunir.
Nous oublions le repas froid. Nous nous embrassons, nos bouches ne veulent plus se quitter.
-Mon amour, cette nuit, reste avec moi. Je suis trop heureuse pour rester seule.
Jaccepte. Nous quittons manteaux, pulls; nous nous regardons quelques secondes et nous reprenons le déshabillage, chacun offre à lautre le spectacle dun striptease rapide puis hésitant quand il faut pour la première fois se montrer nu devant lêtre cher. Cest étrange de retrouver cette pudeur qui retarde la découverte du corps désiré. Avec émotion je me remplis de limage nouvelle de ce corps de femme en pleine santé: tout est neuf, les seins légers, le bombé à peine dessiné du ventre, la saillie des hanches, les fuseaux des cuisses. De son côté Sylvie, un instant en arrêt, se penche pour me retirer le dernier morceau de tissu et pour dévoiler ma virilité en évolution. A mon tour je baisse son dernier rempart et découvre sous le triangle de soie la blondeur de la toison et le fin ronflement des lèvres.
Par pudeur nous nous rapprochons, nos peaux frémissent au contact. Déjà nous nous retrouvons à deux sous la douche, à nous savonner mutuellement, à explorer chaque partie de nos corps. Toute gêne écartée, par attouchements de plus en plus précis nous faisons connaissance. Les serviettes moelleuses
procèdent à un rapide séchage, entrecoupé de baisers et détreintes. Le service réciproque est agrémenté de chatouillis orientés et tout naturellement je me retrouve au lit à côté de la superbe femme qui maccueille.
Nous bouillons de désir en cette minute exceptionnelle.
-Je taime et je taimerai toujours. Fais de moi ta femme pour la vie
-Je taime et je taimerai toujours. Accepte-moi comme époux pour la vie.
-Prends-moi, je me donne à toi.
Elle sest couchée sur le dos, a ouvert ses bras et relevé ses genoux. Cest une vraie blonde. Je mallonge sur elle, me mets en place, elle glisse entre nos corps une main qui me guide. Mon membre gorgé de sang pénètre le vagin humide, nos yeux se fouillent curieux de déchiffrer la montée du plaisir. Cette pénétration des chairs est en harmonie avec le mélange des sentiments enfin avoués. Que de chemin parcouru en si peu de temps.
Longtemps je métais demandé si laddition de deux malheurs pouvait produire un bonheur, si lalliance de vaincus pouvait conduire à une victoire ou si la réunion de deux cocus pouvait construire un couple heureux. Léchec appelle léchec; chacune de mes conquêtes féminines est condamnée à devenir une Rose pleine dépines entre mes doigts. Je me voyais mal, pour atteindre un tel résultat, déployer une somme defforts, de délicatesse, de précautions amoureuses pour toucher un cur. Redécouvrir un cur, un corps, mettre son âme à nu, parcourir le long chemin de lamour, rempli dobstacles, déjà défriché avec ardeur une première fois avec toute la fougue de la jeunesse curieuse et inexpérimentée, devenait impensable si le résultat était incertain, trop certainement voué à la déconfiture dun nouveau divorce.
Aussi métais-je condamné à une vie monacale. Me présenter devant Sylvie, lui rappeler des propos arrachés par la colère ce jour maudit où nous avions confondus nos époux adultères: à quoi bon? A quoi bon nous rencontrer pour jouer aux anciens combattants de lamour. Je navais pas su garder ma délicate Rose, comment envisager conserver cette fleur éclatante. Rose mavait plaqué à cause de défauts que Sylvie remarquerait à son tour. La sublime Sylvie, délaissée par son mari, devait avoir les siens; ce visage magnifique dissimulait-il une redoutable mégère? Derrière le masque avenant pouvait se cacher une prude frigide ou une nymphomane incontrôlable.
Fort probablement tenait-elle les mêmes raisonnements sur mon compte, si toutefois je ne lui étais pas complètement indifférent. Javais été un pion pour son dossier de divorce, point barre.
Et ce matin, je me réveille à côté de la belle endormie. Tout a été si simple, si naturel, si normal, si rapide. Questionnements, hésitations, craintes et tremblements se sont dissipés. La vie a pris le dessus. Sous le drap léger je suis allongé contre une créature de rêve qui dort apaisée et confiante, le visage fascinant effleuré par les timides raies dun soleil hivernal. Le miracle existe puisque jen vis un. Elle ouvre les yeux et paraît ravie de me voir. Nous restons immobiles, incrédules, souriant béatement avant de vérifier du bout des doigts que nous sommes bien réels. Plus le toucher nous rassure, plus nos yeux brillent. Plus sa présence simpose, plus elle découvre la réalité de la mienne et plus son regard me dit son bonheur.
« O temps suspends ton vol et vous, heures propices, suspendez votre cours
Laissez nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours. »( Lamartine)
-Où vas-tu? Tu mabandonnes déjà?
-Je vais acheter des croissants.
-Tu es délicieux, mais jai tout ce quil faut à la maison. Une brioche tournée de mes mains, ça te tente?
-Si cest pour apprécier tes talents, daccord
-Fais-moi dabord un gros câlin.
Cest un plaisir de promener ma bouche sur les yeux, dans le cou, derrière les oreilles pour lamener à frissonner et à menlacer. Mes mains caressent les flancs, le ventre, englobent les seins, chatouillent les pointes, flattent les cuisses, raffermissent les grandes lèvres. Un doigt y joue au curieux et Sylvie se jette sur moi, menfourche, sempale et relance une union douce quelle va mener jusquau jaillissement qui frappera à la porte de lutérus. Nous ne courons pas après un exploit sportif, nous nous aimons.
Nous restons longuement enlacés, nous flânons sur la couche, inséparables. Cest si bon.
La brioche tardive repousse le repas de midi à quatorze heures: le fameux repas froid est enfin absorbé. Vers 16 heures il faut se séparer. Sylvie, enseignante au lycée doit préparer un cours dallemand pour le lundi. Nous avons discuté activités, loisirs, fait des projets pour passer du temps ensemble. Sylvie a un abonnement à la Comédie et mintroduira dans ce milieu. Avec moi elle reprendra le tennis.et bien entendu nous irons danser. La proximité de nos demeures facilitera nos retrouvailles. Elle me remet une clé de la porte de sa cave. Je pourrai la rejoindre à volonté. Nous pourrions nous établir chez lun ou chez lautre. Le choix dépendra des décisions du tribunal.
Le dernier baiser du dimanche est empreint de mélancolie. De tout temps jai connu un serrement du cur le dimanche soir.
Dans mon fauteuil, au son du concerto n° 5 de Beethoven, je plane, au vent léger flottent les ondulations dune chevelure blonde, se dessine le visage de lamour. Enfin éclate dans lallegro final la vision reconstituée de nos ébats, la vivacité, les élans, la succession de temps forts et de pauses si vite oubliées pour des reprises calmes ou saccadées, avec des accents de victoire annoncée, attendue, déferlante, des temps de certitude, des lenteurs qui sétirent. La reprise de lallegro, triomphale affirmation de laccomplissement souhaité correspond à lenthousiasme de lorgasme avec son mélange de gammes aiguës ou graves.
La musique du concerto n° 3 est en parfaite harmonie avec mes sentiments présents. Je suis les mille détours de la mélodie et je pense à Sylvie, nous dansons, rien de précis en dehors de limpression de bien-être qui me reste des instants de bonheur vécus avec elle. . Je suis amoureux.
Merci à celui qui sonne davoir attendu la fin du cd. Lacheteur de mon pavillon, désolé, vient mannoncer que, faute de prêt relais, il doit renoncer. Jour heureux, jour béni des dieux, il nachète plus. Je reste dans ma maison, là, à proximité de mon amour. Musique! Ma voix accompagne lorchestre; de joie, je chante à tue-tête.
Qui sonne à cette heure avec tant dinsistance? Je rêvais delle, Sylvie est à ma porte!
-Mais que tarrive-t-il? Il te faudrait des triples vitrages. A lextérieur on entend la musique mais surtout ta voix. Quel concert!
-Entre vite, tu es glacée.
-Voilà cinq minutes que jécoutais. Quel entrain. Doù te vient cette joie?
-Devine
Je lenlace, point nest besoin de discours pour lui faire découvrir lorigine de mon bonheur. Je baisse le son. Debout lun contre lautre, immobiles nous goûtons les dernières minutes de lallegro. Cest si beau quand on partage. Jécarte dun doigt la mèche folle qui cache son il droit.
-Quelle bonne surprise. Tu as fini tes préparations?
-Jai bien revu mes fiches, placé mes marques. Comme toi, je me suis sentie euphorique et jai avancé plus vite que prévu. Jai eu le temps de préparer un souper pour nous deux. Et toi quas-tu fait?
-Rien. Jai écouté de la musique en pensant à toi, si fort que te voilà: cest magique!
-As-tu réfléchi à ma proposition de loger chez moi quand tu auras vendu?
-Je refuse.
-Ah! Bon, tu refuses. Je suis trop envahissante: tu tiens à ton indépendance. Tu sais, jai une chambre damis fort confortable au rez-de-chaussée et si ça peut te dépanner quelques semaines, je me ferai discrète.
Elle semble déçue. Je mempresse de chasser ses doute:
-Tu ne me veux plus dans ton lit? Je fais donc bien de ne plus vendre.
Que me chantes-tu? Tu as signé le compromis de vente.
-Je veux rester près de toi, je ne veux plus vendre
-Hélas, cest fait. Jaurais tellement aimé que tu restes ici, si près de moi.mon chéri, viens